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ÇA IRA !
qui a définitivement affranchi la peinture
de toute tutelle, inaugurant ainsi une
ère nouvelle, T ère de la peinture pure,
dont le but ne se trouve qu’en elle-même.
Cette libération ne fut que la conclu
sion inévitable des étapes successivement
atteintes au cours des siècles passés et
c’est pourquoi il est inconcevable que
ce geste logique continue à être aussi
âprement combattu et avec des argu
ments aussi puérils.
Car, ne vous y trompez pas, ce qu’on
reproche en somme à l’Expressionnisme,
c’est précisément ce qui fait la suprême
valeur de cette forme d’art, c’est-à-dire
sa rigoureuse exclusion de tout élément
étranger à l’essence de l’art pictural.
Cette exaltation des seuls moyens
plastiques est cause, dit-on, de l’impla
cable hermétisme de l’art nouveau :
c’est elle qui le rend totalement inacces
sible à la foule et par suite inapte
à exercer quelque action sur elle. Et
l’Expressionnisme, ainsi accuse l’opinion
courante, est donc un art foncièrement
antisocial.
Il nous paraît que c’est bien mal poser
la question et que cet argument ne peut
nullement être invoqué contre le seul
art expressionniste. En effet, dire que
celui-ci est moins compréhensible que
les manifestations artistiques du passé,
n’a pas de sens. Toutes les formes d’art
véritable sont également accessibles....
ou inaccessibles. Car, dans toute œuvre,
la seule chose qu’il faille considérer,
c’est l’élément plastique, et celui-ci est
partout également difficile à découvrir et
à apprécier. Il est vrai, les chefs-d’œuvre
anciens semblent être mieux à la portée
des non-initiés. Ce n’est qu'une appa
rence et elle provient uniquement de ce
que ces œuvres renferment des éléments
qui n'ont rien à faire avec l’esthétique et
qui, de ce fait, sont aisément assimilés
par le profane. Mais celui-ci, que n’émeut
pas le solide équilibre d'une toile cubiste,
ne saisira pas davantage la véritable
beauté d’une œuvre de Rembrandt ou
du Vinci, beauté qui réside également
dans l’harmonie des divers éléments
plastiques qui la composent et auxquels
la réalité concrète du sujet est totalement
subordonnée.
Les toiles expressionnistes, elles, réa
lisent un art épuré au point de n’être
plus constitué que par des éléments pure
ment picturaux. Et c’est pourquoi elles
produisent une impression de beauté si
intense sur les sensibilités vraiment ca
pables d'émotion artistique : la jouissance
qu’elles procurent est sans mélange....
Et c’est aussi pourquoi nous osons
affirmer, aussi paradoxal que cela puisse
paraître, que l’art nouveau est mieux
approprié que les formules qui l’ont
précédé à éveiller le sens du beau du
profane, puisque l’élément plastique
— qui seul importe — s’y affirme plus
lumineux et plus évident, n’étant pas
caché ou neutralisé par une foule d’autres
facteurs. Ainsi, loin d’être une forme
d'art destinée uniquement à quelques
priviligiés, l'Expressionnisme, émanation
directe et exclusive de l’émotion esthé
tique du peintre, peut contribuer puis
samment à l'éducation du sens artistique
des masses.
Et à ce propos il est bon de préciser
ce que nous considérons comme le
véritable rôle des arts plastiques, afin de
réfuter également sur ce point l’accu
sation que l’on formule communément
contre l’art moderne.