ÇA IRA !
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il se prête à l’emprise des phénomènes
vers lesquels il se sent attiré d’instinct.
De mystérieuses transpositions s’opèrent
en lui ; c'est toute une incubation qui a
lieu dans le domaine du subconscient,
bientôt suivie d’une période de construc
tion au cours de laquelle le peintre
ordonne, classe et élimine la somme de
ses perceptions afin d’en réaliser les
équivalents plastiques.
C’est en étant ainsi longuement mûris
au plus profond de lui-même, que tous
les sujets qu’il traite, même les plus
contradictoires, subissent l’empreinte de
son tempérament ardent, empreinte qui
ne consiste nullement en une facile et
vaine originalité de forme, mais réside
dans l’essence même des œuvres: toutes
témoignent de son panthéisme érotique
et de la vibration de son cœur à l’unisson
du vaste monde moderne.
Un mot de la technique. Nous disions
qu’elle n’emprunte pas sa valeur à
l’habileté d’un tour de main quelque
peu spécial, appliqué en toutes circon
stances. La forme de Jespers se distingue
au contraire par sa souple variété et
s’adapte de façon parfaite à l’esprit des
différentes compositions. Pour chacune
de ses intentions, l'artiste a trouvé une
forme spécifique qui en exprime intégra
lement les moindres nuances. Pourtant,
le problème était ici doublement ardu,
car la gravure sur linoléum est un art
bien spécial qui exige une connaissance
minutieuse des propriétés du matériel
employé. Paul Van Ostayen insiste avec
raison sur la nécessité pour l’artiste de
donner à ces propriétés leur plus grand
rendement. Il doit se laisser guider par
le caractère de la lino et à chaque surface,
à chaque ligne qu’il grave en exploiter
les qualités. C’est ce que fait Floris
Jespers et il arrive ainsi à d étonnants
résultats. Grâce à la virtuosité de sa
technique, il est parvenu à obtenir des
gammes de demi-tons qui, tout en con
servant à ces ‘ dessins les caractères
essentiels de la lino, leur donnent cepen
dant toute la somptuosité d’une peinture.
C’est le cas notamment pour la planche
intitulée “ Les Amoureux „ qui n'est
autre chose que la transposition gra
phique d’un motif pictural. D’autres fois,
au contraire, c’est un dessin que l'artiste
tente de reproduire (“Rencontre,,) : une
élégante arabesque constitue alors son
unique moyen d’expression. Il nous faut
enfin attirer l’attention sur le parfait
équilibre de chacune de ces six linos,
équilibre qui est également dû en grande
partie à la maîtrise avec laquelle Jespers
réalise linographiquement d’infinies com
binaisons de demi-tons. Et cela, malgré
les possibilités limitées du procédé
blanc-noir.
Nous ne voulons pas terminer cette
notice sans avoir dit la joie profonde
que nous a procurée la publication de
cet album, d’autant plus qu’elle semble
devoir inaugurer une série de manifesta
tions où l’art moderniste affirmera son
intense vitalité. En effet, d’ici quelques
jours une exposition de peintres expres
sionnistes français et belges aura lieu au
Cercle Artistique. Elle sera suivie à bref
délai d’une exposition personnelle de
l’œuvre de Paul Joostens, cet autre
pionnier du style nouveau, qui partage
avec Floris Jespers l'honneur d'avoir
introduit l’Expressionnisme dans nos
Flandres apathiques.
Georges MARLIER.