41
Il a été servi. M. Lebrun, cette sensitive, se
garderait bien d’arrêter le couperet de la
guillotine. Décidément, son septennat nous
rajeunit de vingt ans. Nous pouvons nous
croire encore à l’heureuse époque où M.
Poincaré disposait du droit de grâce. Et il
n’abusa point de cette prérogative prési
dentielle dont bénéficia une seule des fem
mes condamnées à mort par les conseils de
guerre si élégamment désinvoltes. Tout por
te à croire que cette femme, la Ducimetière,
dut son salut à l’unique magie d’un nom
bien fait pour charmer le Lorrain de la re
vanche fraîche et joyeuse.
A ce propos, plutôt que de nous égarer
dans les arcanes de l’occulte, déplorons
qu’une loi (qui finira bien par être rappor
tée, du train dont va le gouvernement de
trêve) interdise aux membres des familles
ayant régné en France de prendre part, dans
la métropole et aux colonies, à ces jolis
massacres organisés par l’impérialisme répu
blicain. Ainsi, un être aussi bien doué pour
la tuerie que le feu duc d’Orléans, au lieu
de pouvoir tuer le boche, le bicot et le
prolétaire, en a été réduit à chasser le pa
pillon, la baleine bleue, le gorille, le mou
flon, la panthère, le lièvre, l’éléphant, l’on
ce, l’autruche, le tamanoir, le phoque, la
cigogne, le crocodile, le rat, la loutre, l’ours
de l’Himalaya, le boa, l’ornithorynque, le
rhinocéros unieorne, le rhinocéros bicorne,
la girafe, le bufle, le vampire, le colibri et
l’hippopotame.
L’assassinat de tant d’espèces emplit qua
tre immenses salies d’un musée. Rue Buffon.
Grâce aux progrès de la taxidermie, tous les
cadavres sont photogéniques. Un tigre saisit
à la nuque un éléphant. Un oiseau des In
des jaune et noir porte à son bec une libel
lule, comme n’importe quel garçon d’hon
neur un œillet à sa boutonnière. Dans un
fouillis de palmes, un tigre mort-né se fait
assez menaçant pour témoigner de l’audace
cynégétique de Monseigneur. Tandis qu’on
empaillait les animaux, on stérilisait les
plantes, les herbes de leurs contrées origi
nelles. De tout ce végétal pourtant bien des
séché, de ces très fragiles papyrus, soudain,
éclate, en parfums fétides, la lourdeur des
humidités tropicales. Cet encens monte vers
des narines de carton. Ainsi, pour des yeux
de verre, aux murs de cette caserne sans fe
nêtre, se déroulent les films de l’Arctique,
du Nil, de la brousse. On pense aux séan
ces de cinéma édifiant organisées, dans les
prisons américaines, par les féroces, les niai
ses bonnes âmes.
Férocité, niaiserie, nous y revoilà.
Si de la férocité à la niaiserie, ces deux
pôles de leur péripatéticiennerie, en guise
de méridiens, des écrivains lancent leurs
grosses ficelles, c’est que la prostitution in
tellectuelle ne va jamais à son business sans
s’être mise au goût du jour. Les Delteil,
Montherlant, Morand et consorts n’atten
dront même pas de pouvoir invoquer l’ex
cuse de cette nécessité qui, sous le règne du
militaire contraindra, tôt ou tard, à se mili
tariser les filles désireuses de ne point mou
rir de faim.
Parallèlement au prestige des aviateurs
très haut bottés, la grande guerre vit éclore
et croître l’usage putassier des très hautes
bottes. L’exploiteur, le prostituant ne va
pas se borner à exiger de l’exploitée, de la
prostituée qu’elle se réduise à l’état de mar
chandise, mais encore, gare à cette mar
chandise si la matière ne s’en laisse point
façonner. Inflexible dans son orgueil, le
plus informe Jupiter de saindoux est tou
jours, selon la formule de Feuerbach, un
objet psychologique pour lui-même, tandis
qu’il ne voit jamais qu’un objet physiolo
gique, un objet à pétrir, à modeler dans
l’autre, celle qui partage son lit. Il y va
d’un petit « Je pense donc je suis ». Et son
« pense » l’on en devine la traduction à
l’heure de la virilité glorieuse. De même
que pour l’auteur du Discours de la mé
thode, les animaux, ainsi, pour le consom
mateur cartésien les créatures métamorpho
sées en bêtes à volupté ne sont que des ma
chines, des mécaniques. Or, les machines
n’ont pas fini de jouer des mauvais tours à
l’homme. Celui-ci, en l’occurence, entendait
manœuvrer à son gré la femme, cette chose,
sa chose. Or sa chose, cette chose, la femme
devient la forme où et dont il va se mo
deler. '
Il y a quelques années, à Berlin, au musée
Hirchfeld, on voyait, documents et preuves
à l’appui, comment, dès leur retour à la vie
civile, d’anciens uhlans, du type le plus
brutal, le plus soudard, le plus trousseur
de filles, se trouvaient atteints d’éonisme.
Ils échangeaient tunique, culotte et cale
çons réglementaires contre corsage, jupe et