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LA JUSTICE IMMANENTE
Puisque le soleil, qui pénètre à peine les brumes occidentales, fait griller parfois
votre blé en herbe, sans cloute faut-il attendre beaucoup du regard de ces hommes intro
duits pour un instant seulement — mais il suffit — devant les consistoires religieux ou
les conseils bancaires.
Rendons la parole aux morts et aux absents.
La conscience vitrifiée des fonctionnaires de la justice se troublerait enfin à la face
de ces criminels à toute épreuve se substituant dans un silence mortel à ces meurtriers aux
mobiles trop personnels qu’ils ont coutume d’épingler au papier peint des greffes et des
commissariats. En apercevant à la lisière d’un champ ces yeux splendides fixés sur les
leurs, les enquêteurs renonceraient à chercher le volet d’un tryptique connu que des
ravisseurs ont jeté clans la campagne; les desservants ecclésiastiques considéreraient com
me inutile — sauf pour le feu — l’ancienne peinture mutilée si les personnages surgis
sant ici occupaient la muraille où paradèrent les juges intègres. Dans les demeures des
gens du monde, où des toiles dangereuses acceptent un emprisonnement qui —
vivons pour rien d’autre — doit être bref, le pêle-mêle se fera place. Il chassera aussi des
murailles sordides les actrices, les agents provocateurs, des partis exceptés, les princes, les
champions, tous les signes malpropres et impropres de l’immortelle magie que beaucoup
se figurent abolie sous le débris esthétique; les pauvres ne pourront plus perdre de vue
leur destinée révolutionnaire. Il faudra que nous regardions ce pêle-mêle aux portraits
dix fois agrandis en écoutant 1’ « Hommage à Babeuf ».
Il ne compte pas s’en tenir là. Son aisance est grande à se mouvoir.
Ainsi, il ne sied pas que d’aucuns regrettent l’absence de figures qui les touchent.
L’objet se peut agrandir et donner place à Petrus Borel, à Rosa Luxembourg, à Koening-
nous ne
stein dit Ravachol, à Nicolas
Flamel, à Lewis Caroll, à d’Holbach, à
Karl Liebknecht, à Maturin, Lewis et Walpole, à Robert Gaze, à Benjamin Péret,
à Swift, à Joffe, à Bianqui, à Charles Barbara, à Picasso et Max Ernst, à Alphonse Allais,
à Cravan, à Vacher le tueur de bergères qui « traverse la France comme un enragé se
guidant sur le soleil seul », à La Mettrie, au bon vieux Maranzak qui avait « les bras
au bout des doigts », à Paolo Uccello, à Simon Kibango, à Soleilland,
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à Carrier, au Chirico d’avant la bave, au Huysmans d’avant les corbeaux,
à Laclos, à Emily Brontë, à Hébert, à John Millington Synge, à Isabeau de Bavière, à
Salvador Dali, au facteur Cheval, à Marcel Duchamp, à Raymond Lulle, à Germaine Ber-
ton, à Gérard de Nerval, à Tayenne, à Raymond Roussel, à Trotsky, à Dubois le gara-
giste de Choisy-le-Roy, à Emile Henry, à Liabeuf, à Sacco et Vanzetti, à Baudelaire, à
Germain Nouveau malgré la prière, à Neuberg, au Chevalier de la Barre, à Guillaume
Apollinaire avant son linceul tricolore, à Berbignier, à Brêt Harte, au Chaplin d’ « Un
vie de chien », à Clément Pansaers, à René Char, à Diderot, à Kroupskaïa, à Charles Cros,
à Damiens et à Saint-Just. A d’autres que j’oublie aujourd’hui.
e
Il ne faut pas plus s’émouvoir de l’énumération des endroits où le pêle-mêle peut
agir. Celui qui regrette de ne point le voir au tronc de l’arbre où des inconnus gravent
de mystérieuses initiales, qu’il parte et l’y suspende.
SCUTENAIRE.