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révolution s’est déjà faite en deux grands
pays d’Europe à la faveur d’aggravations
locales et historiques de la misère affective.
Voilà bien entendu où je voulais en venir:
il s’agit du fascisme.
II. — LE FASCISME.
La misère affective culmine dans les clas
ses moyennes par suite de la double pri
vation du désir et du sentiment. Elle pro
duit par refoulement sa propre ignorance :
la presque totalité des individus moyens n’a
pas conscience du processus. La double
misère est ressentie violemment comme une
privation générale et vague. Cet état s’exas
père cï devient intolérable au cours de la
mythique « après-guerre » alors* que préci
sément l’argent faisait sentir son pouvoir
par la diminution des traitements et gains
et que d’autre part les célèbres sentiments
étaient provoqués par la défaite militaire,
par le complexe national d’infériorité, par
les progrès du mouvement prolétarien.
Il fallait en sortir par l’issue de la sa
tisfaction. Or les satisfactions sentimen
tales de borde et mystiques, bénéficient par
rapport aux satisfactions matérielles de l’in
contestable privilège du prestige acquis.
Les victoires infantiles qu’elles ont
remportées sur les désirs primaires,
en annexant la violence initiale de
ces derniers, leur prêtent, comme à
l’état de guerre, une apparence paradisia
que. Aussi se sont-elles montrées capables
de cumuler par déplacement Vensemble des
aspirations affectives de massives généra-
tions (5). Telle fut la nouveauté du mus-
solinisme, de l’hitlérisme. En fait il ne s’est
agi de conquérir que des grimaces, pour
oublier, sous les embrassades, les luttes
d’argent; pour oublier, en les cachant com
me aux chiottes, les nécessités d’aimer, de
jouir :mais c’est vraiment de grimaces que
vivent les sentiments et non de réalités. Ce
que Mussolini et Hitler ont donné ou
donneront en fait de satisfactions matériel
les est et sera peu de chose : mais ce n’est
pas tant de cela qu’il s’agissait. L’inégalité
capitaliste n’esit pas réellement l’ennemi de
l’exaltation hystérique des troupeaux en
chemise, au contraire : le jeune fasciste
s’excite à mépriser la vie commode et pem
dant ce temps la vie commode du patron,
de ses parasites et petits héritiers continue
de flâner au grand jour.
Mais si le fascisme n’est guère une révolu
tion économique, le fait est que la révolu
tion essentiellement sentimentale qu’il cons
titue empêche une révolution économique
que la situation matérielle des masses, tant
petites-bourgeoises, paysannes, etc., que pro
létariennes, c’est-à-dire de la majorité, sem
blait rendre imminente! L’acquisition de
biens sentimentaux fait prendre en patience
vraiment étonnante aux masses allemandes,
la non-réalisation des réformes économiques
promises par Hitler. Quelles que soient les
mesures prises par Mussolini « en faveur
du peuple », il est public qu’il s’agit de
bienfaits assez légers et incapables de justi
fier matériellement la stabilité de son ré
gime. Qu’on invoque le renforcement de la
police, la terreur, la corruption, etc., pour
expliquer la préparation et la solidité du
fascisme, il ne faut pas oublier qu’il s’agit
de procédés qui n’atteignent jamais qu’une
minorité, et dont la réussite est à la dis
crétion, en fin de compte, du bon vouloir
de la niasse. Le fait nouveau est que, lors
que les classes moyennes sont nombreuses
et puissantes, ce bon vouloir repose autant
sur la situation psychologique de la masse
que sur sa situation économique. La nu
trition affective existe et peut suppléer dans
une mesure certainement sous-estimée, à la
nutrition matérielle. Ce qui détermine le
petit-bourgeois misérable à laisser le pa
tron tranquille et à approuver les tueurs
d’ouvriers quand il ne se mêle pas à eux
(sans être payé), c’est une force opposée
à la convoitise qui naît rationnellement de
sa détresse matérielle, et par conséquent
phénoménalement idéale. La grande révé
lation et l’essentielle originalité du fascis
me, c’est l’intervention des sentiments com
me facteurs autonomes et d’importance con
sidérable dans le domaine même de la po
litique.
Et ce qu’il faut avouer maintenant, c’est
que la propagande communiste, uniquement
fondée sur les enseignements marxistes, n’a
nullement compris, dénoncé et combattu
l’importance politique des sentiments col
lectifs. Le marxisme n’attaque que la do
mination de l’argent uie façon d’ailleurs