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NOUS FUMES SURPRIS
Suit la signature du paltoquet, accompagnée de dates compliquées.
Le tout, d’une écriture d’institutrice.
Je me détournais pour permettre à Guy de se livrer au contentement
sans craindre mon ironie. L’alcool assurait déjà sa contenance.
— Mais c’est très bien, mon petit gars... Je vais lire ça, cette nuit...
Beau papier. Ah! voila le fameux poème... « A un jeune guerrier. »...
(( Printemps déchiré. »... A part cela, qu’est-ce que vous devenez?
— La princesse est venue hier chez maman. Elle a été étonnante.
Guy était à la fois, ironique et respectueux.
Sa première qualité était la modestie, mais j’en voyais sortir des fai
blesses. Elle le maintenait assez loin des cercles où l’on met en commun
une prétention à l’esprit, ce qui était une rare chance. Depuis notre
conversation à l’hôpital, il s’était même trouvé une manière de contour
ner les obstacles. Quand il s’approchait d’un livre ou d’un tableau, il
roulait des épaules, parlait ferme mais affectait de n’employer que des
mots balourds, empruntés au jargon sportif, en sorte qu’il gardait un
air de bon enfant dans ses jugements les plus téméraires.
Pourquoi les gens comme La Marche ne sont-ils pas à leur aise
dans le siècle? Pourquoi ne parlent-ils pas directement des passions,
des vices qu’ils peuvent connaître? Mais non, ils s’avancent dans la
vie un roman à la main, comme un Baedecker.
Guy s’inclinait devant ce petit sot parce qu’il s’était mis ostensible
ment de la partie et de l’encre aux doigts.
Et c’était encore par modestie qu’il s’excluait du monde. La bonne
bourgeoisie où sa naissance le plaçait, s’amusait trop modestement. Les
filles y étaient fades, ou leur effronterie fraîchement acquise ne l’agui
chait pas. Il rêvait de s’élever dans des régions plus brillantes, mais pour
y atteindre, il lui aurait fallu une patience et une platitude qui n’étaient
pas dans son caractère, ou une légèreté qui n’était pas dans son esprit.
Et à ses bons moments, il n’était pas loin de deviner que le jeu n’en
vaut pas la chandelle.
ssmmh