DRIEU LA ROCHELLE
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Une incessante et incertaine convoitise le tirait hors de chez lui.
Mais du jour au lendemain il prenait des habitudes qui le rétrécis
saient. La première fois qu’il était entré dans un bar, ç’avait été celui
où nous étions, où les hommes seuls étaient admis. 11 y était revenu tous
les soirs. Les bars de femmes lui paraissaient plus vulgaires et il ne
dansait pas à cause d’une imperceptible lourdeur.
L’adolescence est un temps périlleux, fatal à bien des garçons qui
prennent alors l’habitude d’attendre et d’oublier le bonheur.
Guy La Marche était assez beau pour ne pas attendre. Mais il était
lent, au point de négliger même ses désirs et de maltraiter ses appétits.
Il comptait sur les occasions; la moindre difficulté lui semblait un bon
prétexte pour leur tourner le dos et reprendre son immobilité.
Ce soir-là, je commençais à débrouiller le fil replié de sa paresse.
Dans un coin de ce bar qui faisait son habitude puérile, il avait
trouvé un accueil qui avait flatté en lui de vagues ambitions. Au lycée,
Guy avait été lent, il s’était vite découragé, acceptant l’augure de ses
maîtres qui l’avaient classé comme propre à rien. Ici, au contraire, des
jeunes gens soignés, qui parlaient d’une façon délicate, l’avaient entouré
de toutes sortes d’attentions. La Marche avait de l’assurance physique,
mais pour des choses dont on lui aurait dit qu’elles étaient précieuses,
un besoin obscur et pénible qui le rendait timide, car il ne sentait pas son
esprit armé pour ces conquêtes, et pourtant c’était par l’esprit qu’il eût
voulu aussi en jouir. Aussi fut-il sensible à l’excès aux découvertes qu’ils
lui facilitaient; ils lui prêtaient des livres, lui offraient des cravates, lui
montraient des appartements complètement vides, selon le goût du jour.
— Ces gens-là sont plus fins que les autres, s’était-il écrié un jour,
devant moi.
— Pourquoi, mon cher La Marche?
— Je ne sais pas, ils sont plus fins.
— Vous croyez?
On rapproche faiblesse et finesse, force et grossièreté.