PAUL ELUARD
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Les dieux de jadis, après avoir bouleversé les âmes et institué des
ères prodigieuses, succombèrent au scepticisme. La littérature s’empara
d’eux, et ceux qui maniaient le tonnerre et les flèches devinrent d’ano
dines allégories. Il faut le reconnaître, la littérature est encore une fois
la grande coupable, et les dieux furent bien morts le jour où le sacri
lège survécut à son crime. Les sculpteurs et les peintres de la Renais
sance transformèrent en statues immobiles les démons turbulents du
moyen âge. Malherbe les empoisonna dans ses flatteries et avec Vol
taire, avec Verlaine, avec Anatole France, les dieux devinrent de
menues chinoiseries sans importance, sans conséquence et sans valeur
autre que celle d’un bibelot de bazar.
Les romantiques avaient essayé de réagir contre cet envahissement des
incompréhensifs et des incrédules. L’épithète de fou se trouva naturel
lement sous la langue de leurs contemporains pour les qualifier. Dela
croix, Edgard Poë, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud et les peintres
déjà nommés n’échappèrent point à cette classification. Désormais, la
folie et la foi sont devenues synonymes et tous ceux qui, de leurs mains
religieuses défrichent des contrées limpides et ténébreuses ont été con
fondus dans la catégorie des déments.
La parenté est d’ailleurs frappante entre les internés et ces faction
naires intellectuels. Hommes au langage matois, demandez-leur pour
qui leur fusil est chargé. Ils vous écarteront et vous engageront à vous
éloigner.
Les dessins des fous nous transportent d’emblée et sans complaisance
dans ces villes et ces campagnes où souffle un vent de révélation. Les
visions de cocaïne et de morphine ont à peine un reflet de ces anatomies
charmantes. Voici un art pictural éminemment spirituel. Un fou n es
saiera jamais de copier une pomme. La vision poétique se superposera
toujours à la réalité, dans la fumée d’une cigarette posée au bord d’une
table, il situera une chute désordonnée de mauvais anges. Le moindre
de leurs tracés vibre d’une émotion intense. Ils ne font rien sans y mettre