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FAITES VOS JEUX
Un soir nous allâmes écouter un concert dans une église. Tout décor
imprévu agissait sur son état, elle s’endormit et me fit des confidences.
Elle était partie, disait-elle, parce qu’elle était enceinte. Une religieuse
jouait dans son voyage un rôle que je n’arrivais pas à éclaircir. Il était
aussi question d’un revolver qu’elle aurait porté sur elle et qu’elle aurait
jeté du train. Mais son rêve se dissipa et je fis semblant de ne rien
savoir. Elle me demandait souvent, après ses crises, si ce qu’elle venait
de dire n’était pas de nature à la compromettre, je la rassurais toujours.
Cette fois elle mit tellement d’insistance que je supposai qu’elle avait
menti. Et dans cette atmosphère de doute et de présomptions, je cueillais
des détails rares et n’arrivais pas à coordonner leur existence dans un
organisme réel. La lente exaspération de ma curiosité et de mes nerfs
m’amena un soir à lui dire avec des larmes que j’étais malheureux, ce qui,
si c’était vrai, n’avait pas de cause précise. Pour appuyer cela (peut-
être aussi pour me rendre l’affirmation valable) je racontai, par lam
beaux de phrases, que j’étais amoureux d’une jeune pianiste — je
voyais Hélène transformée pour les circonstances, — que son père ne
voulait pas me la donner en mariage, qu’un soir, le voyant debout sur
une pierre au bord du lac, je l’avais jeté dans le flot, qu’ayant fui, je
ne savais pas s’il était encore vivant, mais que, en tout cas, la jeune
fille était morte peu de temps après. La mort étant la seule formule
dont on ne peut rien dire, on pleure. C’est absurde, mais c’est l’unique
réponse à l’écho sourd de l’autre grande et impénétrable absurdité.
Comment ai-je pu tant mentir? Comment pouvais-je ne pas m’aper
cevoir que ce drame manquait d’invention et de réalité? Ma naïve ado
lescence demandait que je répondisse par quelque aventure à la vie
tragique de Mania. J’étais à ses genoux, elle me caressait. Je l’enlaçais
et à mesure que mon récit avançait je me sentais plus près d’elle. Je ne
me rendais plus compte que je mentais, mais l’approche, à l’aggravation
de mes malheurs fictifs, devenait plus intime; je me mentais si bien à
moi-même que je pleurais à chaudes larmes, un mensonge entraînant
l’autre, ils s’étageaient sans un autre ordre que celui d’une architecture