Jacques porel
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« Il ne prend jamais la vie au sérieux, et la pensée toujours » ou
encore celle-ci : «Sans doute il ne se sert que de son intelligence, mais
elle supplée à tout le reste comme les sens limités d'un aveugle.»
Sindral nous fait entrer véritablement dans l'intimité d'une pensée.
Sans aucune timidité, il a voulu pousser son entreprise jusqu'à l'extrême.
Bien lui en a pris. Autrement il échouait, au lieu qu’il a su ainsi, loin
des expressions coutumières de la sensibilité, de l'instinct, créer une
atmosphère romanesque dans la nudité même de l'esprit.
Je connais peu d’œuvres d’imagination où une si petite place soit
faite à la sensation pure. Sindral ne commence à s’intéresser qu'à la
perception, et seul, le mécanisme de l'intelligence l’attire pleinement.
Il parvient à nous entraîner dans ce drame et c'est avec un intérêt
croissant que nous suivons cette aventure intellectuelle, ce roman du
cerveau qu’il nous raconte.
Attirance de La Æort dont la faiblesse essentielle est d’être un défi à la
vie (mais son but n'est-il pas précisément l'investigation de cet au-delà
qu’est déjà la pensée humaine?) a le privilège de certains livres, assez
rares, somme toute, de nous rendre plus intelligents. Ou, du moins,
de nous ramener dans le plan de l'intelligence en nous donnant la
bienfaisante illusion d'une marche incessante de l'esprit.
C’est le livre du corps malade, du corps déchu, au-dessus duquel
rayonne sans cesse cette lucidité spirituelle si proche de la folie.
On voit tout de suite le danger couru par un tel ouvrage : il est
fermé à double tour. Même en faveur de l'amour, cette provisoire et
vaine démonstration, ne se soulève pas un instant le couvercle de ce
vase clos. Face à face de deux âmes, pénétration de deux esprits. Pas
une seule fois, des êtres ne vivent devant nous, ne nous montrent leurs
nerfs, leurs muscles, leur sang. Nous ne quittons jamais le spectacle de
leur substance grise.
Cet hermétisme n’annihile pas en Sindral un don réel d'observation.
Quand il parvient à s'en échapper, on dirait même que son œil
n'en est que plus pénétrant. Les deux portraits de femmes que le prieur
conserve dans sa cellule, sont d’une touche parfaite ainsi que toute la
description du couvent, de sa règle et de son chef. Par là, Sindral
consent à être un romancier.
Ce livre a, enfin, le visage modeste et digne des tentatives élevées qui
laissent aux recherches plus vaines, par conséquent plus prétentieuses*