LE DOUANIER ROUSSEAU
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de ses responsabilités, car aujourd’hui, jour de fête, il a remplacé dans
sa voiture les légumes par tous les membres de sa petite famille; chacun,
pour cette jolie promenade est tiré à quatre épingles. Le cheval seul,
qui sait ce qui l’attend, baisse un peu la tête, résigné : la poussière,
le vent, les mouches, seront les compagnons de la chaleur.
On retrouve en voyant ce tableau le plaisir d’Henri Rousseau quand
il le peignait.
Le douanier aimait les arbres, et les innombrables feuilles; dans
tous ses tableaux, il a peint un bel arbre. Un jour que, sur un balcon,
il (( tirait » le portrait d’une demoiselle, institutrice de son état (les
arbres, hélas ! ne poussent pas sur les balcons), le peintre ne put résister
à son amour, et il posa dans les mains de la docte demoiselle un arbre
renversé.
Les goûts simples du douanier, l’ardeur charmante du peintre, la
candeur roublarde de Rousseau sont résumés par cette anecdote qui
appartient aujourd’hui à Pablo Picasso. Ce peintre possède encore un
magnifique tableau du douanier, dont le titre est, si je me souviens
bien La Paix universelle ; il fait partie de la série des grandes compo
sitions (Exposition des Indépendants, La Carmagnole), qui sont peut-
être ce qu’il y a de plus attachant et de plus rare dans l’œuvre du
douanier.
Fermons les yeux pour quelques années encore sur les beautés des
massacres, sur la grandeur des ruines, oublions quelque temps le mot
dévastation. Promenons-nous au milieu de ces bois charmants, dans
ces allées de fraîcheur.
Les hommes ont besoin de souffrir pour aimer; Rousseau n’a pu
échapper à cette loi : ses rêves, ses tristesses ne pouvaient s’évader que
par les pinceaux.
La Paix Universelle est un de ces rêves qui peuplent les chambres
des ouvriers et des petits employés; on peut sourire sans faire de mal