270
BLAISE CENDRARS
MOGANNI NAMEh
V
De bon matin, ayant lu les impressions de voyage de son amie, il
crayonna, encore au lit, rapidement, ce rythme :
« Je te salue, vieil Océan! ». — Lautréamont.
« Vieil Océan, de tristesse âpre et résignée! Vieil Océan, aux flots
salés et lourds comme des larmes! Vieil Océan de peine profonde et
abyssale !
Vieil Océan, cœur gigantesque, où bout, gigantesque, le trouble désir
du monde!
Cœur!
O cœur vivant, se dilatant vers les bonheurs inespérés, flux bruyant
sur les plages stériles des joies dures!
Ressac. Ecume. Ecueils. Brisants.
Reflux tonnant vers les hautes mers, alignées des souffrances alan
guies, circonvolutions et replis sur soi-même, ô cœur vivant!
Cœur !
Dans les artères du monde, tu bats, vieil Océan!
Dans les veines du monde, tu bruis, vieil Océan!