MOGANNI NAMEH
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Vieux cœur, ridé et fatigué, tourmenté et profond, calme comme la
Mort, Océan de jadis!
O visage assombri!
O vieux cœur éreinté, Océan de malheur, Océan médiéval! »
Puis il s’habilla gaîment, et, en buvant le thé matinal et chaud, il
écrivit à son amie :
(( Olympie! — La nuit, mon lit est soulevé par des vagues d’insom
nie. Mon esprit fatigué vogue au loin sur la mer. Les ciels tournent,
des nuages menaçants passent, des éclaircies aurorales pleurent, des
crépuscules ensanglantés dégringolent. Et, toujours, je vogue vers je
ne sais quel état de béatitude — où, tout à coup, ton visage monte,
comme une constellation au ciel tropical de mes rêves. Tandis qu'au
loin des tonnerres sourdement roulant, au milieu de l’immensité mou
vante des eaux et de l’immensité fuyante des nuages, nos mains s’agrip
pent, notre étreinte nous unit fixement, — et tout, autour de nous,
s’écroule.
Pourtant, je suis un peu triste.
Je te vois, comme une Ophélie pâle, planer et voguer sur les flots. Tu
es vêtue d’un froid rayon de lune; ta robe pétille, scintille dans l’eau
saumâtre. De tes mains, tu effeuilles la rose ardente de notre amour
et les pétales tombées laissent une traînée crépusculaire de sang.
Es schlürft der Sonnenwein das Meer, am Abend. Platen.
Te souviens-tu?... Et c’est aussi ce que me disent mille voix : « Te
souviens-tu? »
L’atmosphère est troublante et j’ai peur de la fièvre. Un crépuscu
laire tableau de Giorgione me hante, où le soleil couchant souille la
lame ensanglantée d’un glaive. Une femme livide le tient à la main,
ce glaive, et son pied est posé sur le chef décollé d’un homme... Salomé?...
Judith ?....