JEAN COCTEAU
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que le sien puisse les entr’ouvrir. Jamais il ne recevra les larmes ni les
peaux d’oranges du <( paradis ». C’est peut-être une position unique
d’aristocrate.
Picasso, cependant, ferme rarement ses tableaux à triple tour. Les
objets, les figures émergent. Parfois, la bascule entre le lisible et l’illisible
hésite ; parfois elle ne fonctionne pas.
Italiennes de carte-postale, arlequins naïfs, jeunes chevaliers à cheval
sur une chaise, traversés d’un soupir de couleurs pâles, intriguent beau
coup, à la porte, les touristes qui n’osent marcher trop loin.
Selon moi, l’œuvre la plus fermée de Picasso me paraîtra toujours
sa plus significative. Il existe, dans la collection de Mme Erràzuriz,
une toile où le jeune homme assis dans un jardin qu’elle représentait
disparut, entre 1914 et 1918, pour faire place à une splendide méta
phore de lignes, de masses et de couleurs. Là, Picasso règne, seul au
monde. Aucune des extravagances qu’il suscita ne l’égale.
En face de ses courses le long de l’échelle de lisibilité, je pense au
sommeil qui semble, plus on s’y enfonce, arranger le rêve avec des
matériaux de moins en moins fournis par la mémoire. Une mémoire si
lointaine motive leur amalgame qu’on le croirait presque obtenu sans
souvenirs réels. Ces souvenirs, fussent-ils antérieurs à la naissance, n’en
restent pas moins l’alphabet dont le songe nourrit son obscur langage.
a
Voici donc un Espagnol, pourvu des plus vieilles recettes françaises
(Chardin, Poussin, Lenain, Corot), en possession d’un charme. Les
objets, les visages le suivent jusqu’où il veut. Un œil noir les dévore
et ils subissent, entre cet œil par où ils entrent et la main par où ils
sortent, une singulière digestion. Meubles, animaux, personnes, se mêlent