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PICASSO
La veille de la répétition générale d’Antigone, en décembre 1922,
nous étions, acteurs et auteur, assis dans la salle de l’Atelier, chez
Dullin. Une toile du bleu des boules à lessive formait un fond
rocheux de Crèche. Il y avait des ouvertures à gauche et à droite; au
milieu, en l’air, un trou derrière lequel se déclame le rôle du chœur, avec
un porte-voix. J’avais accroché autour de ce trou les masques de femmes,
de garçons, de vieillards, peints par Picasso, et ceux que j’avais exécutés
d’après ses modèles. Sous les masques pendait un panneau blanc. Il
s’agissait de préciser sur cette surface le sens d’un décor de fortune qui
sacrifiait l’exactitude et l’inexactitude, également coûteuses, à l’évoca
tion d’une journée de chaleur.
Picasso se promenait de long en large.
Il commença par frotter un bâton de sanguine sur la planche qui, à
cause des inégalités du bois, devint du marbre. Ensuite il prit une bou
teille d’encre et traça des motifs d’un effet magistral. Tout à coup il
noircit quelques vides et trois colonnes apparurent. L’apparition de ces
colonnes était si brusque, si surprenante que nous applaudîmes.
Une fois dans la rue, je demandai à Picasso s’il calculait leur appro
che, s’il allait vers elles ou s’il en avait eu la surprise. Il me répondit
qu’il en avait eu la surprise, mais qu’on calcule toujours sans le savoir,
que la colonne dorique résulte comme l’hexamètre d’une opération sen
sible et qu’il venait peut-être d’inventer cette colonne de la même façon
que la découvrirent les Grecs.
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Il nous reste à saluer l’exemple de Picasso. Il enseigne à ne pas
confondre discipline et crainte. Autre chose est de vivre sur un refuge
ou savoir traverser la rue. Il montre que la personnalité ne réside pas
dans la répétition d’une audace, mais, au contraire, dans l’indépendance
que l’audace permet. Le motif pourquoi Picasso n’exploite aucune de ses
découvertes vient de ce qu’elles se détachent de lui, mûres. Chacun y