TRISTAN TZARA
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intensité tacite que l’électricité aurait transformée en lumière incandes
cente. A l’abri de cet échange de regards engrenants, Mania déjà s’effor
çait de tramer entre nous une entente occulte dont l’imprécision aurait pu
facilement faire un complot. Je le savais et ne m’opposais aucune
défense car, ne pouvant pas soupçonner Mania de légèreté, cela m’annon
çait des mystères et la possibilité de les éclaircir excitait mon attention
comme ce qu’elle avait déjà entendu de moi excitait la sienne. Le mou
vement giratoire de son imagination entraînant le mien, l’engrenage étant
parfait, la réciprocité de nos soupçons sentimentaux pouvait faire marcher
le secret embarqué sur un véhicule qui, à cause de ces difficiles débuts,
n’était encore qu’une bicyclette. Pour les assistants l’entrevue fut courte
comme une formalité.
Sur le billard de notre boule — elle aussi courant vers d’incalculables
rendez-vous sur un autre billard sans plan, — Dieu s’est amusé à réussir
certains carambolages humains. Par le choc des nerfs, souvent deux per
sonnages, sans se connaître, s’imprègnent l’un de l’autre, il suffit qu’un
seul vive dans l’espoir d’une rencontre pour que l’autre se sente attiré vers
la crise par les ondulations des sirènes et par les exigences kaléidosco
piques de ses sens.
Mon ami ne me permettait pas de la revoir, il jouait le rôle de pro
tecteur et il fallait s’incliner devant l’impératif de ses prétextes. Ils déci
dèrent de me rejoindre une semaine après mon départ.
Tout ce qui sortait des relations de platitude de ma famille, me sem
blait étrange, mal établi et excitait ma fantaisie indisciplinée — une
fleur défendue abandonnant sa saveur affectueuse à ma discrétion.
Plusieurs spectateurs assis en rond en moi-même fixaient au centre une
partie de billard qui était en train, les paris se multipliaient selon mes
préoccupations de passage (l’oiseau battait légèrement sur le tambour de
sa cage) de sorte que mes facultés changeaient de domicile lorsque des
parcelles de moi-même étaient gagnantes au détriment des autres.