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FAITES VOS JEUX
I .
ment indispensable à mes défauts nerveux. Mes yeux ont besoin de
cette distraction impersonnelle, mes jambes, mes bras et mon cerveau ne
fonctionnent que s’il y a autour d’eux un mouvement similaire. De ce sti
mulant, en apparence cérébral, sont parties chez moi les plus hardies
initiatives.
J’ai passé des années entières, inerte, dans la petite ville qui absorba
ma vitalité. J’y arrivai un soir d’hiver —- un ancien ami m’attendait à
la gare et pour me décider d’y rester, car mon voyage ne devait pas
encore s’arrêter, me conduisit d’abord dans le vieux quartier, ce qui
chatouilla ma curiosité romantique et me donna en même temps une
fausse idée de sa dimension. Fatigué et à moitié surpris, je ne pus m’aper
cevoir que nous passâmes plusieurs fois par la même rue qui se montrait
sous de divers aspects, suivant l’angle de perspective par lequel nous
l’abordions. Elle était obscure et tordue, embellie par les piments d’une
architecture hiérarchique et superposée. L’arbre et l’alignement social y
ont imposé leur principe de construction. Les ornements gracieux et spi
rituels sont les diminutifs du langage des villes et leur coquetterie. Ces
murs acrobates en équilibre délicat, me semblèrent d’abord d’une certaine
vivacité. Je vis par la suite que ces rues à mauvaise circulation étaient
inhabitables, sales, peuplées d’animaux inférieurs parlants ou muets.
A quelques pas seulement, la ville propre et nickelée comme un
service de déjeuner, affluait en se condensant vers un lac dont les bijoux
étaient vivants, circulaient dans de nombreux bateaux sur la surface,
réglés par des horaires entremêlés et compliqués, et ouvraient pour des
sommes modiques leurs sifflets, leurs installations confortables et le luxe
de leurs détails métalliques.
C’est ainsi que m’apparut d’abord cette ville fraîche et pleine de diver
sité. Cela ne dura pas longtemps. J’ai vite établi le nombre et la qualité
de ses surprises. L’ennui m’envahit avec des mélanges douloureux dé
mélancolie. Les sensations de bien-être devinrent rares et tous les plaisirs
étaient catalogués : les excursions, les cafés, les amis. On verra plus