TRISTAN TZARA
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Il les avait préparés en m’entourant de talents mystérieux et supposés,
ce qui me valut un charmant accueil de leur part, et moi j’étais prévenu
de leur valeur par des insinuations antérieures. Tous ces artistes se
moquaient bien de l’amateur, mais en se cachant, car ils bénéficiaient
de son thé maigre et intellectuel, et espéraient conclure de merveilleuse?
affaires le jour où il aurait mis sa main grasse sur l’hypothétique héritage
(que sa fantaisie leur avait servi pour mordre au système d’hameçons
et d’encouragements qu’il avait établi autour de sa maison). Entouré
d’hommes qu’il s’efforçait de rendre plus vite célèbres pour monter avec
eux en augmentant sa mégalomanie fétide nourrie par les drogues, il
créa sans se douter un centre où les éléments les plus hétéroclites se
rencontraient. Les bénéfices qu’il en tirait étaient faibles : quelques
autographes et des dessins sans valeur. On me fit d’abord la cour
parce qu’on me croyait riche — je l’étais plus qu’eux, car le peu que je
possédais je n’avais pas besoin de le gratter au cercueil du jour —;
j’étais porté à croire que l’estime qu’ils me gardèrent après avoir appris
les limites de mes ressources s’adressait d’un œil furtif à la richesse
de mes parents. J’étais dur dans mes jugements et je tenais à mon
injuste détachement, car je ne me connaissais presque plus depuis que
j’avais de si rares rendez-vous avec moi-même. Ayant éloigné l’ami,
le seul, que je portais en moi intimement, j’avais perdu l’habitude du
contact avec les autres. Les moments distants de quiétude correspon
daient à ceux d’amitié intérieure où la joie du mot juste dissipait le
malentendu et les effusions de ménagements venaient au secours des
deux abandonnés enfin réunis. Elles étaient rares ces rencontres de mon
étroite jeunesse d’où je tirais la conscience de ma force, et tous ceux que
je connaissais en profitaient pour prendre encore un petit élan dans le
crédit dont ils m’honoraient. En dehors de ces événements de transpa
rence j’étais méfiant, incrédule, obscur, soupçonneux, taciturne.
C’est ainsi que naquit mon dégoût. Sans haine et sans systèmes de