PHILIPPE SOUPAULT
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ciente. L'esprit de Delteil est très proche de l'esprit de feu Isidore
Ducasse, comte de Lautréamont. Je ne crois pas que Delteil connaisse
les Chants de Æaldoror ou Les Poésies. Ce qui prouve, en tout état de
cause, que les deux auteurs se ressemblent par l'esprit. Tel passage
de Choléra prouve surabondamment cette affirmation. Et ceci est une
louange... Il y a dans ce livre de 200 et quelques pages une puissance
miraculeuse. Lorsque l'on en a terminé la lecture on a des « fourmis »
dans le cerveau. Richesse de drapeaux sous le vent et sous le soleil,
regard soyeux de chats, promeneurs nocturnes. Cette imagination
donne le vertige parce qu’elle est intense et qu’elle ne faiblit jamais.
On peut ouvrir ce livre à la page 10, à. la page 127, à la page 98, la
même admiration nous frappe en pleine figure. Delteil est bien le frère
de Lautréamont (Benjamin Péret est donc le neveu de Delteil), grâce à
cette surprenante faculté d’évoquer avec la domination d'un rêve les
plus étranges, j’allais écrire les plus sensationnelles, sensations. Un
malaise ou parfois un bien-être s'empare du lecteur de Choléra. II
participe à cette poursuite incessante du désir.
Pas de trêve, pas de répit. Le sorcier amoureux vous tient fermement
par la main et il faut avancer. Le désir est un grand cercle rouge,
signal d’arrivée, soleil couchant. Il ne s’agit pas de libertinage comme
chez Louis Aragon mais de ce désir âpre comme un fruit trop vert et
exaspérant comme la limonade. Delteil ou plus exactement celui qui
dit: « Je... » poursuit trois femmes et ne peut posséder le repos qu’en
les assassinant de ses propres mains pour peut-être respirer l'odeur du
sang frais. Angoisses des rêveurs échappés de monastères.
Choléra n’est-il pas, somme toute, le nouveau Roman d’un jeune homme
sage.
On pourrait aisément se tromper : il y a dans ce roman beaucoup
de situations délicates, beaucoup d'attentes, beaucoup de reculs.
Le D r Freud y trouverait à glaner de bien beaux exemples de la
puissance de la censure.
Nous serons moins partiaux. Cette grande imagination sexuelle
devrait, si j'ose m'exprimer ainsi, nous mettre la puce à l’oreille. J'en
ai la preuve. Il y a quelques jours une dame d'un certain âge feuil
letait ce roman dans une librairie de la rive gauche. J’observais le