JACQUES POREL
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THOMAS L’IMPOSTEUR, par J. Cocteau. (Ed. de la N. R. F.)
Ceux qui auraient le tort de considérer le livre de Cocteau comme
une œuvre étincelante mais légère commettraient la même erreur que
s'ils allaient trouver comique son héros. Cette histoire s’envole mais
non sans laisser en nous un sillage profond.
Comme un avion qui vient baiser son ombre, l'imposteur, pour
l’étouffer, vient mourir sur ce second lui-même, son faux nom. Double
sacrifice. Disparition de deux êtres entièrement dépendants l’un de
l’autre ; car si le vrai Thomas est l'assassin du Thomas légendaire,
celui-ci qui l'a entraîné dans sa légende, est cause de leur mort.
Cocteau a dû écrire cette histoire dans une sorte de crispation
nerveuse. Les bariolages de carnaval dont elle se revêt ne cachent que
faiblement cette angoisse. Ce masque apparaît plutôt comme le rictus
douloureux qu’on voit sur les visages de ceux qui souffrent et ne
peuvent pas pleurer.
Je glisserai sur les félicitations que méritent la réussite de ce livre,
son tour exquis, toutes ses qualités littéraires. Je ne vois que ce type
troublant, shakespearien. Sorte de météore poétique, parent de Lafca-
dio, qui traverse les plus absurdes, les plus dramatiques circonstances,
et vient prendre place parmi les personnages du roman contemporain.
Cocteau a mis au monde un être nouveau. Ce fantoche, ce poète
animé par lui, prend rang d’individu.
Quand le livre commence, Thomas n’est rien. A peine une ébauche
humaine. A sa mort, un homme est né. Par cette mutation d’un
automate en créature vivante, Cocteau a fait une découverte. Ces
inventions là stupéfient l’inventeur lui-même. Je le vois, traçant l’épi
taphe de Thomas avec un mélange de tendresse, de chagrin et d’ahu
rissement.
En voulant nous montrer le pantin qui devient un homme, Cocteau
ne s'efforçait à rien moins qu'au contraire de ce qui se fait. Il risquait