TRISTAN TZARA
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(( Toute la nuit j’ai eu la fièvre, des cauchemars; que donnerais-je
pour une caresse de toi! Dix ans de ma vie seraient moins qu’une bonne
nuit dans tes bras. Je suis triste, et il faut cacher mes pleurs, car les gens
qui m’entourent ne comprennent pas. Si j’avais été riche, j’aurais pris
le train aujourd’hui même ; je ne veux plus rester ici, je serais malade ;
je t’aime et tu ne le crois pas, tu ne m’aimes pas. Je ne dis plus rien, je
n’ai que du désespoir et je pleure », etc.
Plus tard, elle m’écrivait :
<( Je vais te dire que je m’ennuie à pleurer, seulement, comme je ne
mets pas du noir aux yeux, je pourrai pleurer sans mouchoir. Si j’avais
eu vingt-cinq francs, j’aurais pris le train tout de suite, car il pleut; les
arbres ne sont pas habillés, il n’y a pas de fleurs, et que de très laides
femmes, tandis que toi, tu es en train de prendre un bon café.
(( Quelle injustice! Qu’ai-je fait pour souffrir ainsi?
«Je demande peu de choses : des baisers, un sourire, voilà mon
bonheur. Je marche sans rien voir, telle une somnambule; j’ai froid; je
crois qu’en fait de me guérir je vais devenir tout à fait malade. Il n’y
a pas de viande : la soupe, les légumes, du fromage, c’est tout ce
que l’on mange. Ecris-moi, cela occupera mon pauvre cerveau. »
Je suis allé la voir. Elle m’écrivait souvent.
(( Je te dis que je me porte bien, le voyage n’était pas long, j’avais
tes deux lettres qui m’ont fait grand plaisir puisque tu m’aimes; seule
ment, je ne te crois qu’à moitié. Le soleil se cache, on dirait qu’il va
pleuvoir, et toi, grand chéri, c’était un gros sacrifice que tu as fait de
te lever ce matin avec moi; je suis jalouse que tu sois à Paris, car tu
ne t’ennuies pas. J’ai le cœur gros en pensant que ce soir tu vas être
seul dans ton sommeil; que je voudrais être, moi, ton sommeil, pour
que tu te blottisses dans mes bras! Je t’aime beaucoup trop, et pour