ÉÜ
—
88 FAITES VOS JEUX
que mon amour pour toi diminue, il faudrait que je sois souvent près
de toi, ce serait très bien, car tu n’es pas fait pour être aimé, tu es trop
calme, je suis obligée de mendier une caresse, un peu d’amour, quelque
fois, c’est très vexant, car je me suis toujours fait désirer; il va falloir
que je fasse cela avec toi car je ne peux pas te tromper avec un autre,
tu n’es pas jaloux, ce n’est pas intéressant. »
Pour m’être agréable en n’acceptant pas d’être entretenue par moi,
pour ne pas s’exposer à des scènes que j’aurais pu lui faire sur la vie
qu’elle menait, pour se réconcilier avec sa mère et aussi pour essayer une
vie plus calme, elle dut se marier avec le premier venu, le premier homme
qui voulut d’elle, un cordonnier des environs.
Elle fit preuve à cette occasion d’une grâce exquise, car elle m’an
nonça l’événement en peu de lignes, après m’avoir préparé lentement,
pendant quelques semaines, par des soins mesurés et savants. Elle eut la
légèreté consciente et la politesse d’un animal domestique qui, malgré
son ennui discret, se laisse choyer, — son énervement se cache mal der
rière une patience diplomatique accordée au droit d’habitude et une bien
veillance décorative ornée des attirails du plaisir.
Quel sentiment pouvait me causer son mariage? J’eus honte de ne
pas pouvoir même prendre une attitude précise. Contentement, jalousie, —
je n’eus pas le choix, car en réalité, loin d’elle, je sentais la distance
grandir démesurément avec le temps et la neige dense de l’indifférence
sur les ailes de la plante chargée de ciel et de fermeté. Mon attention ne
se concentrait que sur ses agissements, son esprit aux formes insoup
çonnées, son tempérament avide de tendresses et de passions éblouis
santes. Elle avait manqué tout cela et savait probablement que c’était
à cause de moi.
A travers les centaines de petits mensonges, formes malhabiles de la
coquetterie, elle ne pouvait pas empêcher l'expression de sa sincérité