LUCIEN FABRE
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venait d’une rapidité d'esprit. Il appelait des rimes d’un bout à l'autre
du monde pour les joindre de telle sorte qu'elle parussent avoir rimé
toujours. Par rimes nous entendons : n'importe quoi. » « Il poussait
brutalement les noms propres, les visages, les actes, les propos timides
et les envoyait au bout d’eux-mêmes. » C'est ce don de l'analyse et de
la logique poussées à l’extrême qui fait l'enchantement, la nouveauté, la
fraîcheur de l'univers que nous offre Cocteau; et on voit que c'est un
don intellectuel.
Mais qu'on n’aille pas croire que cette intelligence, qui relie et qui
contrôle, puisse annihiler les sens et le cœur. Elle les gouverne simple
ment. Pour Cocteau, ni les sens ni le cœur ne peuvent suffire à mener
la vie d’un homme. Il en souligne le caractère impulsif et spécifiquement
organique: « Le cœur vit enfermé. De là viennent ses sombres élans
et ses grands désespoirs. Toujours prêt à fournir ses richesses il est à
la merci de son enveloppe. Que sait-il le pauvre aveugle? Il guette le
moindre signe qui le sortira de l’ennui. Mille fibres l’avertissent. L'objet
pour lequel on sollicite son concours en est-il dupe? Peu importe. Il
s’épuise avec confiance et s’il reçoit l'ordre d’interrompre, il se crispe
dans un épuisement mortel. »
Qu’on admire ces lignes sobres, discrètes et puissantes. Il faut pour
les pouvoir écrire avoir passé des nuits à entendre battre ce triste
viscère. Il faut s'être incliné sur lui pour distinguer les changements
profonds et à tout autre indécelables : L'enfant entre dans le coffre du
magicien. « On ouvre le coffre, il est vide. On referme le coffre. On
l'ouvre ; l'enfant apparaît et regagne sa place — Or, ce n'est plus le
même enfant. Personne ne s'en doute. » C’est tout une logique du désir.
Ecoutez encore : « Cette fois le devoir rencontrait une surface sensible
et la réponse de Germaine était l'image même de Jacques car l’écran
délivre le film qui sans obstacle n’épanouirait qu'une gerbe blanche.
J acques se voyait dans ce désir et pour la première fois s a propre rencontre
le bouleversait. Il s'aimait chez Germaine. Il perdait conscience du per
sonnage qu'il développa dans la suite sans chercher à rejoindre son
idéal. »
Cet art exquis montre comment on peut parler des choses du cœur
sans exaltation, sans se laisser mener par la passion, tout en en conser
vant la poésie et la tendresse. De même sans se laisser submerger par
les sens ni par le goût plastique de la matière, écoutez comment
Cocteau nous parlera des sens :
« Les caresses, même les plus profondes, ont une limite. Jacques