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LE ROMAN
quasiment vierge, essayait de satisfaire un désir illimité. La première
étreinte le déçut. A la longue, le vertige s’apaisant, son regard et son
esprit redevinrent agiles.
« Alors contemplant cette Desdémone à la renverse, mourante auprès
de l’oreiller, pâle à faire peur, les dents découvertes, il amoncelait des
souvenirs de honte sur sa figure et sortait d'elle comme un couteau.
Comment il nous parlera des rapports des sens et de l'amour :
« Germaine distribuait vite ses caresses épanouies. C'était le luxe
d’une gerbe de fleuriste. La gerbe fanée, on en achète une autre ; }acques,
lui, prenait racine. Son amour anormal poussait normalement, lentement.
Il s'aimait, il aimait des voyages, il aimait trop de choses dans sa
maîtresse. Germaine n’aimait que son amoureux. »
Voilà des accents extraordinairement nouveaux— Que nous sommes
loin des luxuriances romantiques, des sécheresses à la Mérimée, des
analyses à la Stendhal 1 Cela est parfaitement original et d’un dessin
qui étonne et ravit par la justesse et le contour. C’est l’exercice d’une
intelligence qui voit directement la constitution d'une aile de papillon,
par transparence pour ainsi dire, en tout cas, sans dissection et même
sans effleurer sa poudre. L'admirable est qu'elle puisse nous émouvoir.
C'est la récompense de sa sincérité. De même, comment avec cet éloi
gnement quasi pudique de la matière arrive-t-elle à nous en donner une
si parfaite sensation que dans le passage suivant :
« Elle ressemblait à Germaine comme au marbre son moulage au
plâtre. C'est-à-dire qu'elles étaient pareilles sauf tout. »
Ici, Cocteau nous révèle un grand secret. Pour décrire la matière
nul besoin de la reproduire, de la malaxer, même de la toucher, nul
besoin de réalisme. Le marbre se distingue du plâtre pour peu qu’on y
voie clair. C’est une question de double réflexion : réflexion de la lumière,
réflexion de l’esprit. Cocteau a su, sans toucher à la matière, en y pro
jetant simplement son faisceau, en recueillir et en définir le faisceau
réfléchi qui en donne l'image la plus caractéristique, l’image réellement
edéentielLr. Lisez ceci :
« Son mari mangeait machinalement. Quelquefois il était secoué par
un hoquet sombre qui l’ébranlait comme une montagne de neige »
Goûtez cette force, cette pesanteur, toutes ces qualités massives
réellement spécifiques de la matière. Et admirez par quels rusés
moyens (opposition des mots nombre et neigé) instinctifs, demeure pure
et intellectuelle l'impression créée.