JACQUES POREL
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« Daniel connaissait cette ruse du regard toujours ailleurs qu’au seul
« visage qui l’attire »
dans une observation audacieuse où son œil ne tremble pas :
« La plupart des (jeunes filles) confondaient-elles sans doute le goût
« de la pureté avec l’instinct de conservation »
ou, mieux encore, dans ce tableau :
u Daïis la chambre proche, Raymond aimait, rossait son amie jus-
« qu'à ce que le sommeil confondît leurs souffles, et ce n’était plus
« soudain que la respiration calme, l'innocence nocturne d'une chambre
« d'enfants »
partout, l’écrivain connaît la fortune d'une forme qui épouse exactement
sa pensée.
Le début du roman, la description d’un Paris, changeant selon les
états d’âme, que Daniel Trasis quitte pour fuir sa maîtresse, les portraits
de l’étonnant oncle Louprat, de la touchante Marie Ransinangue, l’ap
parition de Gisèle de Plailly, la jalousie de Madame de Villeron, la
montée en Daniel de ce désir auquel le rire de crécelle de Gisèle forme
un accompagnement sinistre, autant de morceaux admirables.
On a généralement reproché à M. Mauriac la fin morale qu’il a ima
ginée : la conversion de Gisèle était peu vraisemblable, en tout cas trop
rapide. Je ne suis pas de cet avis. Pour être déconcertante, Gisèle n’en
est que plus humaine. C’est à l’instant où son inconséquence éclate,
que la logique de son caractère apparaît. Son retour à la religion est
naturel et doit être soudain comme l’ont été ses trop nombreuses
fautes. J'ai aimé, au contraire, cette simplification conçue par
M. Mauriac, qui donne à la fin de son roman une grandeur nullement
empruntée.
Au moment où l’on cherche vainement à dresser les uns contre les
autres les soi-disant partisans du modernisme et ceux d’une tradition
dont le visage s'est pourtant trouvé être, à chaque époque, méconnais
sable, et, par le prétexte de quelques écrivains, à ressusciter la défunte
et sans cesse menaçante querelle entre classiques et romantiques, allons
recueillir chez ce jeune maître, déjà plein d’expérience et de sagesse,
la preuve de ce qui, seul, confère à une œuvre son prix : la qualité.
Jacques POREL.