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FERMÉ LA NUIT
FERME LA NUIT, par Paul Æorand, (N. R. F. édit.).
On a dit et redit ce que Paul Morand avait fait dans le pittoresque,
cette manière séduisante qu'il a de cerner les choses avec un crayon
bleu, comme les yeux des femmes, et de les cerner de telle sorte que le
trait qui les souligne les déforme tout aussitôt.
On a parlé aussi de cosmopolitisme, de témoignage d’une époque
prompte aux excès et au vertige, sécheresse de cœur, de modernisme,—
que sais-je ?
On a moins dit qu'à travers le grillage des mots et des images
cocasses, il y avait de curieuses démarches morales à conserver. Cela
pour Fermé La Nuit. Malgré la similitude des titres et des milieux, ce
livre ressemble assez peu à son aîné. Il dénote un contrôle des mobiles
et des nuances du caractère, plus expert et plus précis. Je dirais même
qu’il y a, par rapport à Ouvert la Nuit, un complet renversement des
valeurs. Le souci du décor qui naguère avait la vedette, passe mainte
nant au second plan. Quant aux qualités de relief et de vérité des types
d’individus, le sexe fort, chez Paul Morand, en accuse de bien plus
sérieuses que l’autre. Dans les premières nouvelles, ces flottantes
silhouettes de femmes, rompues au malheur ou à la coquetterie, nous
plaisaient surtout par l'habileté de Morand à les situer dans un cadre
qui leur ressemblait. Mais, somme toute, il ne rapportait d’elles que
ce qu’il avait appris à en connaître dans l’espace d'une nuit (déjà beau
coup, certes 1).
Dans Fermé la Nuit, c’est tout autre chose. Ce sont quatre figures
d'hommes qui derrière elles actionnent cette fièvre de l’atmosphère que
l’œil de Morand est si prompt à saisir. C’est l'air qu’elles déplacent
qui renverse les décors et en fait surgir d'autres. Dès les premières
pages, on les sent dominer les événements que, pour ses expériences
cruelles, Morand disposera sur leur passage. Avec une mollesse de
grands seigneurs, nous les voyons s’étendre d’un bout à l’autre du