JEAN EPSTEIN
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matin, remonte la nuit à la devanture d’un autre aspect du jour. Je vois
le pivot des météores, les contrepoids des nébuleuses, les orgues en coli
maçon d’où jaillit le pollen des foudres.
Il y a dans les tableaux de Léger un ouragan secret dont ils fré
missent comme bicoque dans tempête. La toile vibre, bouge, frétille,
gondole, s’étire, germe, croît et mûrit dans un cadre qui craque aux
jointures.
Ce qui orne la peinture de Léger de cette vie presque truculente,
c’est d’abord le fractionnement. L’aspect des choses, pour lui, est un
aspect par fragments. Toutes les surfaces se divisent, se tronquent, se
décomposent, se brisent, comme on imagine qu’elles font dans l’œil à
mille facettes de l’insecte. Géométrie descriptive dont la toile est le plan
de bout. Au lieu de subir la perspective, ce peintre la fend, entre en
elle, l’analyse et la dénoue, illusion par illusion. A la perspective du
dehors il substitue ainsi la perspective dü dedans, une perspective mul
tiple, chatoyante, onduleuse, variable et contractile comme un cheveu
hygromètre. Elle n’est pas la même à droite qu’à gauche, ni en haut
qu’en bas. C’est dire que les fractions que le peintre présente de la
réalité, ne sont pas toutes aux mêmes dénominateurs de distance, ni de
relief, ni de lumière. Cette variété de points de vue, de violents con
trastes pigmentaires la syncopent comme de bons tambours. C’est alors
qu’une danse saccadée rit au travers de toutes ses toiles.
La synthèse visuelle n’est donc pas complètement faite dans cette
peinture. Elle est d’abord défaite, et à un état d’analyse, non pas jus
qu’aux éléments premiers, mais à certains de leurs groupes, succède une
amorce de synthèses fragmentaires, synthèses limitées, partielles, inter
rompues et menées sur des plans très divers. L’ensemble définitif et
général reste à construire. Le spectateur est mis en présence de tous les
éléments du calcul, et il reçoit même quelques indications qui doivent
l’aider à trouver la solution, mais le calcul reste néanmoins à faire. Car