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HÉLÈNE
carrioles peintes où des boulangers explorent les routes claires au détour
desquelles leur fait signe l’aventure avec son cachemire éperdu. J’accom
modai, au rythme du train, des chansons pieuses, seules que j’eusse
apprises. A chaque ville nouvelle traversée, surgissait d’instinct en ma
chanson quelque mot inconnu. Quand nous fûmes à Vienne, ma mère,
prêtant l’oreille à mes litanies lentement muées, serra sur sa gorge son
manteau et me fit jurer de ne jamais redire de semblables paroles.
Devant le château, des enfants de velours dormaient avec une grâce
lourde. Un jeune homme nous tendait un pâle sourire, et je le devinai
mon cousin. Le sommeil emprisonna mon cœur trop vaste dans une salle
désolée. Je rêvai qu’une porte s’ouvrait. Une main comprimait mes cris.
Et malgré ma défense...
— Hélène, dis-je, malgré votre défense...
Mais elle s’était endormie. La nuit fit chanter des oiseaux maladifs.
Des rameaux craquèrent sous des pieds nus. Les jeunes gens que nous
vîmes aux courts sableux et dont un dieu jeune assouplit la vigueur, n’ont
point, mon amie, expiré avec le ciel et la trajectoire des balles. On les
retrouve dans les tramways. Ils ont des mains un peu sales, un bon
visage et vont dîner. Hélène, réveillez-vous.
Hélène ouvrit des yeux blessés. Elle changea les ombres de sa robe :
— Le dernier train va partir.
Elle s’éloignait, courant un peu, et parfois s’arrêtant et doutant entre
les divers mondes qui se partageaient, depuis le matin, sa tendre chair
et son âme. J’attendis en vain que la métamorphose fût complète. D’une
à une autre colline, Hélène, un pont enjambait à pas énormes des lassi
tudes, des ouvriers pressant leurs femmes qui rient et pensent à autre
chose, des résignations quotidiennes qu’on avait fini par appeler bonheur.
Hélène au parapet se pencha. Expérimentant le rêve de naguère, elle
fit vers moi une petite révérence et sauta. Ce fut la dernière balle de
tennis que le ciel renvoyait à la terre.
Marcel ARLAND.