POÉSIES
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secrets de leur métier. Ils écoutent la leçon du maître et nul ne pour
rait dire si les auditeurs turbulents n'en tirent pas un meilleur profit
que les élèves dociles. Les hommes du nord sont têtus, orgueilleux,
farouches. Signalez-leur dans une œuvre d'eux le passage qui vous sem
ble faible, ils sont tout prêts à vous répondre : C'est celui que j'aime
le mieux. Excellente disposition d’esprit, car ils suivront d'ailleurs, sans
se l'avouer, le conseil qu'ils reconnaissent bon. On voit de quelle
manière l’influence de Jules Romains — j’en parle ici car elle est parti
culièrement sensible dans Jazz-Band — peut s'exercer utilement sur
tels successeurs de Verhaeren, trop naturellement disposés à prendre
au poète flamand tout ce qui, sans préjudice de son originalité vraie,
lui fit une originalité de surface, voyante et transitoire.
Le « tempérament » est ce qui manque le moins aux Belges. S'il était
possible, ils en auraient trop. — Qu’on me permette de jeter en passant
un coup d’œil sur la jeune peinture du nord: elle obéit au rythme
général dont la France est le métronome. Mais si préoccupés qu’ils
soient d’équilibre formel et d'architecture sensible, les Belges ne
peuvent oublier qu'ils sont coloristes. Ils restent « beaux peintres »
avec ce que l'expression sous-entend de laisser-aller, d'empirisme. Qui
aurait le courage de leur en faire un reproche ? — Nos poètes ont une
éloquence terrible ; ils ignorent un peu la manière de s'en servir. Qui
n’a pas aujourd'hui le don des images ? C'est ce qui remplace le « joli
talent », la « fine sensibilité ». Mais donnez-leur les cinquante-deux
cartes, ils vous les étalent sur la table au hasard. Or le jeu consiste à
faire la réussite en découvrant les as. René Purnal a du moins sorti
l’as de cœur.
Revenons à l'enseignement de Jules Romains. Les puissances diffusées
par Verhaeren, il les condense. Il nous apprend l'économie poétique.
Plus de coups de poings dans le vide, un bon exercice de « punching
bail », un entraînement sévère, méthodique. Le tout est de pouvoir
ensuite boxer avec le sujet. Et malheureusement la plupart des bons
élèves imitent parfaitement les attitudes, les swings du professeur,
mais ils ne s’attaquent qu'à des sujets complaisants, à des compères.
Reconnaissez leur maladresse dès que la « combine » prend fin. Pour
m'exprimer brutalement, je dirai qu'ils font du Jules Romains (je sais ce
que c'est, j’ai fait comme eux) incapables de saisir sous les apparences