LE ROMAN
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J'ai, à propos de ce roman, entendu prononcer le nom de Marcel
Proust. Proust fut un tel maître de l’analyse que tout livre d'observation
en profondeur, paraîtra pendant longtemps encore plus ou moins rele
ver de lui. A vrai dire il n'y a aucune influence réelle de Proust sur
le Diable au corpé, mais plutôt sur notre façon de juger les livres qu’on
nous soumet, en nous obligeant à retrouver partout sa trace même là
où elle n'est pas.
Me suis-je trompé en y voyant plutôt les empreintes spirituelles de
Dostoievski, d'André Gide ?
Il est difficile de classer ce roman ‘dans la production contem
poraine. Il diffère autant de la bonne que de la mauvaise.
Il nê faut pas se laisser égarer par des définitions aujourd'hui
suspectes ; tradition, classicisme. Il y a pourtant des familles de romans.
Le Diable au corpd se rattache à celle où se sont déjà groupés : Daphnis
et Chloé, la Princesse de Cleves, Adolphe.
Beaucoup d'écrivains modernes donnent une importance prépondé
rante au style par un tour brillant, original et un pittoresque qui se
justifient dans la complication toute extérieure de la vie actuelle. Le
Diable au corps s'écarte de cette manière ; ses [mérites sont ceux de
l'équilibre, de la tenue, de la simplicité du ton. Tous les effets sont
intériorisés. La façon de raconter s’efface. L'expression reste en deçà
de l'idée, de l'émotion. Grâce à cette nudité, devant nous deviennent
plus manifestes les états d’âme, les mobiles profonds et secrets de nos
actes, tout le mécanisme intérieur de l’homme. Ce roman est en cela
conforme à une certaine ordonnance traditionnelle.
Le Diable au corps est composé avec une méthode et une clarté qui
ne laissent rien à désirer et qui, par un mérite supplémentaire et singulier,
ne s’installent pas en évidence.
11 est d'une écriture simple et nette où l’image peu fréquente ne
vient qu'à bon escient, pour enrichir la forme, jamais pour l'alourdir.
Il fallait, je crois, dans les Feuilles Libres où parut il y a un an le
premier extrait du Diable au corpà, rendre un hommage consciencieux à
ce roman, le plus personnel, un des mieux faits de la production récente,
celui que je vois déjà bien à sa place et prêt pour l'avenir.
Jacques POREL