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4 TRISTAN TZARA
signes poétiques de cette architecture. Les hommes de l’époque les ont
certainement imaginés pour torturer les cerveaux émus des passants.
Qu’on se figure un voisin regardant pendant quelques heures un trou
noir. La terreur qu’il accumule vaut bien toutes les histoires de revenants
et de diables hostiles. Je ne crois pas qu’on puisse me contredire; les
nuages, le froid, l’humidité ne pouvaient être ce jour-là qu’une faible
recommandation du ciel à mon esprit critique. Mes amis d’ailleurs m’ont
fait si souvent l’éloge de cet esprit, que je n’éprouve plus aucune peine
à y croire entièrement.
*
Pour justifier mes arrêts, de temps en temps, je faisais semblant de
regarder les devantures de quelques boutiques sans intérêt. A l’angle
d’une rue, une vieille femme d’une soixantaine d’années causait avec une
fillette de quinze ans. Je m’arrêtai devant l’étalage d’un antiquaire, au
coin de la rue, ce qui me permit d’entendre la conversation.
« Depuis que ma sœur aînée est morte, Madame...
— Ah oui, je comprends. Le froid a la tristesse facile...
Et maman me gronde toujours et me dit qu’elle est morte à cause
de l’amour. Chez nous il fait froid. Maman dit qu’il ne faut aimer
personne.
— Mais oui, ma petite, à ton âge il ne faut pas aimer. Et il faut
ménager ta mère si elle a mal au foie.
— Madame Adèle, si le printemps vient encore une fois cette année,
alors je pourrais aussi aimer.
— Ma petite, le printemps viendra l’année prochaine, tu auras
seize ans, il faudra alors demander à maman si tu peux aimer. Mon
mari, lorsque nous parlions de nos quinze ans, car nous avions le même
âge, me taquinait sur la jeunesse de mon expérience. Il est vrai que nous
avons mis deux ans à fa comprendre. Ce qui est difficile ce n’est pas de
s’aimer, mais de savoir qu’on s’aime.