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LE ROMAN
MALICE (Crès, éd.), par Pierre Æac Orlan.
Pierre Mac Orlan vient d’écrire Æalice. C’est, comme on le pense,
une confession. C’est aussi un art poétique. Vous prenez quatre ou cinq
silhouettes pittoresques, aux gestes d’automates ; vous y joignez du
mystère et de l’inquiétude ; sous le rideau dépasse savamment la griffe
du diable ; une odeur de chair un peu malpropre se répand ; vous
soulignez le tout d’un air d’accordéon. Il ne manque plus que le génie
de Mac Orlan.
Le génie de Mac Orlan s’appelle Æalice, comme ses yeux vifs et son
visage de bouledogue farceur. C’est un curieux pantin qu’il traîna jadis
dans les bars de Montmartre ou sur les côtes de Bretagne (il y apprit
la mélancolie et les chansons d'Aristide Bruant). Le pantin le suivit
aux tranchées ; dans le dessin de Gus Bofa, à la première page du
Chef de iEquipage, c’est lui qu'on voit sous la forme d'un petit chien
tenu en laisse par le sergent Mac Orlan ; là, le pantin acquit l’appétit
de la vie et celui de devenir un grand homme. Délivré, il flaira le vent,
assimila toutes les inquiétudes, les tendances, les sueurs d’une époque
en mal de gestation. C'est aujourd’hui un énorme personnage ; assis sur
un guéridon, il croise les jambes derrière le dos de Mac Orlan. La
dernière fois que je le vis, il semblait un peu malade : il y eut tant
d’éléments troubles dans sa nourriture.
Mac Orlan dresse la tête : " l’Europe, le bouleversement, l’inquié
tude sociale, M. Drieu la Rochelle est un grand écrivain, je suis un
homme d'aujourd'hui...”. Le soir vient, l'équivoque lueur de l'Europe
et du modernisme s’éteint aux fenêtres de Passy ; Mac Orlan ouvre
Casanova ou des livres d’estampes japonaises. Après le dîner l'écrivain
s'accoude devant sa tasse de tilleul : nuits de Montmartre où je déam
bulais avec Apollinaire, Salmon et Pellerin. Ils sont morts. Chers
camarades de génération : Carco cherche de l’or à la Renaissance ;