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PER VARESE
— Dans ce pays, les femmes ont des yeux perfides et certains mépris
brûlant dont la tradition ne se perd point. Prenez garde! Les soirs de
réjouissances, les plus jeunes s’éventent, un poing sur la hanche. Les
autres, frisées comme des toupies, s’assoient dans l’ombre et guignent
l’aventure avec des fichus trop courts.
... Le manège que vous voyez là est le centre de gravité de la fête.
En réalité, il reste immobile. C’est moins coûteux ainsi et l’impression est
identique pour ceux qui le montent grâce au tournoiement de la foule
autour.
— Ces cris...
— Ces cris sont ceux des premières défaillances. Les mains sont
lestes, les vertiges vite improvisés. Voyez! Les ombres jouent aux
échecs sans jamais perdre, et la pudeur blessée colore les lampions du
soir.
— Je ne sais plus où j’en suis. Je cherche une image qui m’échappe :
Agnès. Tout ce tumulte me rend fou. Voici que je ne retrouve plus
la couleur de ses mains, ni ce tic qui lui fait relever la tête, d’un coup
de menton.
— Cette petite qui vous sourit résoud la difficulté. Ses mains ont
un haie délicat, des gestes tendres. Laissez-vous séduire. Elle brûle
du désir que vous la conduisiez au Carrefour du Roi, à quatre pas
d’ici. On y déguste des boissons froides au son d’un piano mécanique,
devant un écran de fortune où d’anciens « Chariot » mènent une vie
de chien. Décidez-vous. Les sourires se fatiguent vite. A quoi bon
évaluer la qualité des plaisirs? Laissez vos scrupules. Il est dix heures
du soir. Pour deux heures encore l’Italie est « la plus grande ».
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Elle a seize ans, la peau tannée, un sourire automatique, — un peu
crispé, — hissé sur ses lèvres comme un petit drapeau. Sagement
assise à mes côtés, elle regarde. Devant nous, Chariot s’attarde dans un