MARCEL RAYAL
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avec sa crête à vif et ses dentelles d’éclairs crépitants. Un instant, cette
manière d’attiser les mots, d’enflammer leur phosphore par le seul grin
cement de la voix, me distrait, me séduit; je devine que leur sens, peu à
peu, vacille, s’embue, se déforme; j’en oublie quel orage accourt, quelle
tragédie se joue à mon insu.
La peur du ridicule me glisse à l’esprit l’idée d’une fuite. Affronter
le scandale avec des pétards de rencontre et des vocables sans portée,
je ne m’en sens pas le courage. Mais celui de m’enfuir avec toute la
poltronnerie désirable, l’ai-je? Il y a une minute où l’effort qu’implique
la perspective du sauvetage décide le naufragé à se laisser couler à pic.
Ça y est. Ma paresse est cet océan de plume et de velours où je sombre
avec un doux mépris des conséquences et de moi-même...
a
Tout ce tumulte dans ma tête. Que je me ressaisisse! Où suis-je? La
campagne défile sous mes yeux. Mes mains tiennent au volant. Réca
pitulons :
Décontenancée par le sens de mes silences, Ezza, avec une colère
de reine sans bagages, s était soudain levée. Une femme est accourue vers
elle. Quelques mots chuchotés à l’oreille : Ezza pousse un cri. La
femme, à son tour, m’interpelle, m’intime un ordre. Son regard semble
dire : il n’est que temps. Temps de quoi? Je m’efforce de comprendre.
Quelques jeunes gens font cercle autour d’Ezza, pâle et débouclée. Son
amie leur explique 1’ « histoire ». Quelle histoire? Aussitôt les filles me
houspillent, les garçons ricanent. Parmi les injures dont on m’accable,
j’essaie de découvrir celle qui signifie : mufle, celle qui signifie : lâche.
Mais ce petit calcul, hors de saison, me cache mal l’angoisse inexplicable
qui me gagne.
Il faut avouer tout. Le désir de pousser jusqu’au bout cette équi
voque cède maintenant à celui d’en débrouiller les noeuds. L’aventure
que j’ai courue par jeu se retourne, par jeu aussi, contre moi-même.