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LITTÉRATURE ET CRITIQUE
car elle est le principe même de sa nature : faut-il y voir une crainte de
la vie et de son pouvoir d'en être ému, ou plutôt un désir de sentir
davantage, avec des nuances plus subtiles? — Mais bientôt en lui la
vie et le rêve se mêlent; l’un permet et exalte l’autre ; c’est le rêve
qu'il poursuit dans les plus humbles choses, et, renonçant à des chimères
qui soient le simple jeu de son esprit, il n'admettra de. rêves que les
rêves où bat l’inquiète rumeur des hommes.
Si peu vivant qu'il apparaisse et qu’il se sente, il est loin d'être sans
tourments. Ces tourments, il les réunira en un seul: le tourment reli
gieux ; il ira chercher dans la foi le refuge que toute âme mal équilibrée
ou qui ne trouve pas son contentement en elle-même ni en la vie, s’ef
force d’y découvrir: “ Si tu as cru, écrit-il, que mon amour (du catho
licisme) était vain et inventé, si tu as cru que je passais un seul jour
sans en souffrir, et si, cependant, tu n’as pas vu que depuis trois ans
la question chrétienne ne cessait de me torturer — certes tu m’as
méconnu". Pourtant sa vie garde une unité; cette âme n'est point éparse;
ses inquiétudes, ses efforts sont semblablement orientés ; peut-être
convient-il d’en voir la raison dans son enracinement : “ J'ai toujours
été sûr, dit-il, de me retrouver avec ma jeunesse et ma vie, à la bar
rière — au coin d'un champ où l’on attelle deux chevaux à une herse. "
Peut-être aussi avait-il trouvé si rapidement sa vérité, qu'il n'avait
plus à la chercher.
On retrouve la même unité dans son œuvre. De ses premiers essais
au Grand Æeaulnes, la ligne est droite et pure. Il subit l'influence de
Régnier, de Jammes, de Gide, de Marguerite Audoux, de Stevenson;
mais il n'en gardera que la substance qui s’incorpore le mieux â son
miel. Du symbolisme, dont il s’engoua, il conserve le goût de la musique
des phrases, et certaine tendresse qui vient s'ajouter à la sienne. Les
œuvres qu’il donna avant le Grand Æeaulnej sont de valeur différente,
aucune vraiment bonne, mais presque toutes riches en promesses. On
y retrouve parfois déjà sa simplicité, son amour des champs, son don
d’animer d'une vie délicate et mystérieuse les êtres et les objets les plus
humbles, sa phrase pure et douce :
“ Enveloppée dans des couvertures, j'ai senti glisser sur mes yeux, aux tournants, les bran
chages nocturnes ; et prés de moi, jusqu’au matin, deux voix qui ne dormaient pas ont parlé
tout haut du cheval, du pays et des astres. Puis la fraîcheur du jour m’a glacé les paupières
comme de l’eau: la voiture est arrêtée aux portes de la ville mystérieuse où nous allons entrer;
et, sur la route, un homme nous parle. ”