172
ROBERT DELAUNAY
Il est encore très jeune. Cette jeunesse le conduit nécessairement vers
un effort : il veut à tout prix être vieux. Devant ses yeux, chaque matin,
un étonnant monument se dresse. Temple du mauvais goût, mais temple
de l’audace. Telle une fleur de pisseftlit « La Samaritaine » s’agrandissait
chaque jour et de ces grands magasins, refuge du commerce, s’échappait
le bourdonnement significatif des usines. Les paroles remplaçaient les
rouages, les gestes et les écriteaux, les moteurs.
Comment voulez-vous que Delaunay s’amuse? Toute cette vie est
étourdissante. (J’aimerais pourtant un jour écrire un poème à la Bourse
au milieu des cris. Sans doute, ce poème serait champêtre.)
C’est dans le silence que l’on écoute et que l’on voit. C’est du moins
ce que croyait Delaunay qui, fuyant la bourdonnante Samaritaine, se
réfugiait dans l’église Saint-Séverin. Romantisme de 1908, mysticisme du
siècle de l’aviation. Tout ce sang qui circulait plus vite dans ses veines,
toute cette joie qui courait sous sa peau l’inquiétait, le troublait parce
qu’il ne savait pas se reconnaître encore. Pour guérir cette fièvre, il
cherchait la fraîcheur d’une église, l’ombre d’une nef gothique. Delaunay
n’entendait plus les appels des voitures, le chant de la vitesse et le cri
de la couleur.
Après quelques peintres et avant beaucoup d’autres, il se laissait pren
dre dans le terrible filet des lignes. Il ne s’agissait pas à ce moment pour
lui de discuter. Les mailles semblaient se resserrer peu à peu. Il peignait
l’église Saint-Séverin (1907). Est-ce le hasard, est-ce son désir qui le
poussait à ce moment à choisir cette église si froide, si triste. La lumière
ne peut pénétrer.
Delaunay ne put s’empêcher de peindre une prison en voulant peindre
cette église.
L’amour veillait. D’autres se sont laissé définitivement enfermer dans
la prison, dans le caveau, derrière la fenêtre grillagée de lignes. La
lumière, visage de l’amour, n’était pas morte pour lui.
Ce qu’il y avait encore de plus beau, ce qui chantait en lui, ce qu’il