MARCEL RAYAL
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feuilles libres
POÉSIE
PLAIN-CHANT, par Jean Cocteau (Delamain et Boutelleau, édit.)
La grâce d’une courbe, c'est à quoi le vrai poète atteint sans y
songer, tout en caressant les rythmes et les images avec des capri
ces divers où nous croyons souvent qu’ils disparaissent, mais où la
fin du jeu nous les fait retrouver toujours. Regardez, et dites si
la courbe poétique de Jean Cocteau n’a pas la pureté d’une ellipse?
Le bel obus qu’il prépara longtemps et qui éclata avec le Cap de
Bonne Espérance retombe, après un vertigineux parcours, sur le sol,
et c’est un fruit délectable, acide au goût, avec un vert feuillage
autour : Plain-Chant.
L’inquiétude, fil d'Ariane. Quel poète plus que Jean Cocteau en
subit les ruses et les détours par lesquels elle fait mûrir la contra
diction nécessaire à toute œuvre? Pour se découvrir, il faut se faire
violence, se déplaire à soi-même. Ce sont nos yeux qui ont tort
quand, dans l'obscurité subite, nous ne reconnaissons pas un visage,
une table. La nuit dans laquelle on conçoit le poème n’abandonne
que lentement son épaisseur. Vaincre l’impatience de l'œil, les poètes
s’y résignent mal.
Avec Plain-Chant, il semble que Jean Cocteau donne au procès de
la forme, qui tourmente encore certains esprits, une conclusion, en
apparence simple comme bonjour, mais qui pourtant détruit le pré
jugé absurde grâce auquel le choix de telle forme déterminait automa
tiquement la tendance d'un poète et le * ‘situait" à coup sûr. Il mêle