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PIERRE SOUPAULT
autour de lui, gens, événements ou tristesses passent et repassent comme
les silhouettes d’un tir. Est-ce l’un, est-ce l’autre, est-ce le suivant qu’il
abattra?
Ainsi la vie de Giraudoux n’a pas de frontière, ses premiers livres
ne sont que des moments qu’il se plaît à fixer, à retisser en trois
cents pages. Plus tard il s’efforcera de poser des problèmes et de planter
des personnages et des décors mais quand il faudra tirer les ficelles et
faire parler ce sera toujours la même voix, cette voix charmante de
Giraudoux.
Suzanne et le Pacifique, n’est-ce pas Robinson Crusoé fait Girau
doux; Siegfried, n’est-ce pas encore Giraudoux en exil? Ainsi à chaque
carrefour, en Allemagne, dans le Pacifique, à Paris, à Châteauroux,
nous rencontrons notre ami plus gai que les jours sans pain, plus triste
que les pinsons, heureux comme un botaniste qui cherche avec fièvre,
avec ferveur sous chaque brin d’herbe une nouvelle fleur, ennuyé comme
un facteur, attentif comme lui-même qui découvre sans presque le
vouloir la poésie.
Avec application, avec crainte à la fin de son adolescence, Giraudoux
comprenait dans Provinciales toute cette enfance qu’il avait à dessein
oubliée. Comme dans le fond d’une armoire de grenier il recherchait
une petite fille, un paysage de plomb, un fruit défendu. Il inventait
ses souvenirs avec tendresse, ironiquement; son cœur, son rire s’unis
saient pour relier au présent tout ce qui est indéfinissable, insaisissable.
Les yeux tournés dans la même direction se fatiguaient et le gênaient.
Il voulait être exact, trop exact sans discerner encore comme il le fit
plus tard l’exactitude du véritable. Il peignait, oubliant de récréer.
C’était un amoureux plus soucieux de sa cravate que de sa bien-aimée,