CRITIQUE GENERALE
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simo dans notre esprit plutôt que dans notre oreille, la suite dansante
des objets sur l'écran.
L’esprit humain, qui peut grâce à l'attention concentrer sa force
sur un seul objet, voit restreindre son étendue en raison de l'intensité
de la sensation éprouvée. Ce phénomène va jusqu’à l'exclusion des autres
impressions venant du dehors, celle qui subsiste envahissant alors toute
la conscience, et l’accaparant pour elle seule.
Appliquons cette loi psychologique au cinéma : chaque fois que
l'impression visuelle sera assez forte, — et ceci peut se produire grâce
à l'émotion que provoque une scène, la beauté d’un site ou d'une per
sonne, l'intérêt d’un épisode — l'oreille ne percevra plus clairement les
sons. On prétendra qu’il y a alors perception subconsciente de la
musique ; mais je n'en crois rien. Se figure-t-on, par exemple, qu'on
regarde et qu’on écoute simultanément un ballet? Il me semble, au
contraire, qu’on regarde les évolutions des danseuses et qu’on écoute la
musique, successivement. Cette succession peut être très rapide, assu
rément, et se borner à de brèves échappées vers l'un et l'autre champ
sensoriel quand on assiste pour la seconde ou la troisième fois à une
représentation. Mais chacun sait combien il est difficile d’apprécier
convenablement un ballet, ou même un opéra, à la première audition :
la complexité des sensations trouble et suspend le plaisir et le jugement.
Le cinéma dissocierait donc les perceptions composites que nous
fournit l’expérience, et il pourrait servir ainsi à vérifier l’autonomie
de nos sens, du moins d’un seul, le plus important.
Pour moi, je m'arrache difficilement à l'audition d'un beau morceau,
quand il est joué au cinéma : l’obscurité favorable à la perception audi
tive, intensifié, transfigure le moindre passage musical. Il faudrait, pour
donner aux sensations musicales tout leur effet, faire régner dans les
salles de concert une demi-obscurité. Que constatons-nous, au contraire?
Des torrents de lumière versés sur l’estrade où opèrent les musiciens.
Ah ! quel plaisir de suivre, avec la lorgnette parfois, le chef d'orchestre
balançant sa baguette, le trompette qui retourne son instrument pour
en écouler la salive, l’air embêté du corniste qui vint de faire un couac