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PAUL FIEKENS
Doucement, nous passons au gris, au beige; deux pommes mûrissent,
les raisins sont toujours verts, les huîtres vont remuer dans l'écaille
sous le jus des citrons pressés. Plats de gourmets, sans piment ni
vanille, les Braque témoignent en faveur de la table française, en faveur
des vergers, des vignobles. En faveur de la culture, si l'on veut. Est-ce
la rareté d'un tel art qui fascine ? Sans doute : rien n'est plus rare que
la pureté.
Ne confondons pas cette vertu suprême avec un puritanisme auquel
Braque, naguère, sacrifia. La sève a gonflé l'écorce, noué de frais
bourgeons. La rigueur des lignes, comme aux premiers jours du dégel,
cède aux souffles de l'air, aux secrètes pressions du cœur. Les objets
apprivoisés reprendront sans péril quelques vieilles habitudes. La guerre
est finie : le peintre victorieux accorde à la nature, sa conquête, une
autonomie qu'il contrôle de loin.
Miroir d’eau, si l’on pouvait découper à ta surface les reflets
de l'automne et du ciell Georges Braque dispose des filets qui lui faci
litent de tels larcins. Il capte une image du réel, plus souple et vive
que celle des contours, des enveloppes.
Il suggère peut-on dire, mais suggère avec précision : un certain
flottement du motif n’enlève pas à l'œuvre son caractère immuable.
L'équilibre atteint, la balance continue à trembler, c’est émouvant,
c'est périlleux. 11 est plus simple de donner un coup de pouce au fléau,
mais Braque est le plus honnête des peintres.
Devant la réussite, on craint d’applaudir brutalement. L'art de
Braque est beau comme un grand silence, chargé d’effluves, de pensée,
si complet, si lourd, si léger pourtant. Deux muses un peu trapues,
fluides, le symbolisent, aux nuances de la terre et des verdures
naturelles.
Paul FIERENS.