LA SCULPTURE
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JACQUES LIPSCHITZ.
Sculpture cubiste, a-t-on dit. Je veux bien, mais sculpture tout
court, d'abord. Il importe peu que Jacques Lipschitz passe aux yeux
de certains pour un artiste hermétique. Sans doute son apport esthé
tique réside dans le fait qu’il organise l’espace en se servant d’élé
ments purs et qu’il sacrifie à son œuvre, réalité artistique, la réalité
visuelle. Sans doute, il serait injuste de nier qu'il tira parti d’une
des plus importantes acquisitions de l’art contemporain, en disso
ciant l’élément figuratif et l’élément plastique. Mais il ne suffit point
d'adopter un mode, pour faire preuve de maîtrise. Le cubisme n’est
pas, que je sache, une garantie contre la médiocrité. Je prie tous
ceux qui tiennent Lipschitz pour un novateur d'oublier, ne fût-ce qu'un
instant, sa qualité de sculpteur cubiste et d'aborder l’étude de son
œuvre en faisant abstraction de son aspect extérieur.
A ses débuts, Lipschitz pratique la sculpture sphérique. Ses volu
mes lisses, fermes, dépouillés s’emboîtent déjà, comme de parfaits
rouages. Ils se fondent, se pénètrent, et c'est à peine si un œil exercé
aperçoit leurs jointures. Une impression de calme et d'harmonie se
dégage de ces figures précieuses aux formes arrondies, aux fins linéa
ments. C'est donc en pleine possession de ses moyens techniques que
Jacques Lipschitz entreprend son œuvre de révision. A la forme sphé
rique, il adjoint la forme cubique qui brise l'unité du rythme, rompt
les rapports des masses et désagrège l'organisme plastique. Les direc
tions clairement indiquées, les statues de Lipschitz qui datent de cette
époque se dressent au carrefour de deux chemins, comme des problè
mes complexes sur le point d'être résolus. L’œuvre d’épuration ainsi
commencée se poursuit lentement. La forme cubique absorbe peu à peu
la forme sphérique et ovoïdale. D'austères armatures des formes exclusi
vement architectoniques et réduites à leur plus simple expression
attestent l’état d'esprit dans lequel travaille l’artiste, désireux de mettre
à l'épreuve ses ressources, avant de s’engager dans une voie nouvelle.
Il sculpte à ce moment une petite statue, à plus d’un titre édifiante.
Les “chairs à vif”, les volumes des hanches et des jambes, franche
ment disjoints, les seins projetés en saillies sur un torse plan, ce schéma