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DRIEU LA ROCHELLE
Quoi de plus pathétique, de plus fantastique que ces peuples autre
fois égarés qui, depuis un siècle, se cherchent, se rassemblent comme dans
des limbes, s’illuminent de la découverte de leur génie, se perdent encore,
se retrouvent, puis s’emplissent de plus en plus du pieux amour d’eux-
mêmes. Bientôt ils ne résistent plus au sentiment et à l’idée. Gonflée d’un
murmure de poètes, de chanteurs, la foule s’élance et génufléchit dans
l’hécatombe des émeutes. Les soldats jurent, frappent, répriment cette
faible indignation. Alors les armées rebelles se forgent comme des âmes.
Enfin le jour de délivrance est arrivé. Il y a eu dans toute l’Europe une
résurrection de la chair des nations. Et cette bonne nouvelle se propage
maintenant en Asie, en Afrique. Mystérieuse reviviscence des formes.
Ni les uns, ni les autres, nous ne pouvons être étrangers à ces grands
mouvements d’amour. Il en est de plus vastes encore. Et nous ne les igno
rons, non plus, car tous les penchants de l’amour se succèdent les uns
aux autres. L’amour des patries a cette première et véridique séduction,
il est charnel. On aime des êtres et des choses qu’on connaît, qu’on voit
avec ses yeux.
Mais comment l’homme qui peut fournir aux plus hautes exigences
de l’esprit, nourrira-t-il une telle passion? Dans ce dernier quart de
siècle, certains ont assouvi par elle de puissants et nobles désirs, d’Annun-
zio, Kipling, Barrés (1) ont été pour les patries des amants légendaires.
Ils ont bien fait, ils ne pouvaient faire autrement. On adore la mer
veille humaine en réservant un soin idolâtre à une de ses multiples figures.
Chacune est assez étonnante pour qu’on s’y complaise et qu’on la préfère
avec emportement. Mais ceux-là même qui ont tant aimé leur patrie et qui
ont découvert des ressources de cet amour inconnues des siècles précé-
(I) Et par les voies plus secrètes qu'André Gide a choisies, de délicates preuves de cette
dilection nous ont été offertes.