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Nous rejetions tout ce qui était copie ou description pour laisser l’Elémentaire 
et le Spontané réagir en pleine liberté. Comme la disposition des plans, les 
proportions de ces plans et leurs couleurs ne semblaient dépendre que du 
hasard, je déclarais que ces oeuvres étaient ordonnées “selon la loi du hasard” 
tel que dans l’ordre de la nature, le hasard n’étant pour moi qu’une partie 
restreinte d’une raison d’être insaisissable, d’un ordre inaccessible dans leur 
ensemble. — Des artistes russes et hollandais qui produisirent à cette époque 
des oeuvres assez proches des nôtres en apparences, obéissaient à de tout autres 
intentions. Elles sont en effet un hommage à la vie moderne, une profession de 
foi à la machine et à la technique. Bien que traitées par l’abstraction il reste 
toujours en elles un fond de naturalisme et de trompe-l’oeil. 
De 1916 à 1920 Sophie Taeuber dansa à Zurich. Voici les belles lignes que 
Hugo Bail a écrit à son sujet dans un essai intitulé “Occultisme et Autres 
Choses Belles et Rares”: “Autour d’elle c’est la clarté du soleil et le miracle 
qui remplace la tradition. Elle est pleine d’invention, de caprice et de bizar 
reries. Elle a dansé sur le ‘Chant des Poissons Volants et des Hippocampes,’ 
une complainte onomatopoétique. Ce fut une danse pleine d’éclats et d’arêtes, 
pleine de papillotements de lumière, d’une intensité pénétrante. Les lignes de 
son corps se brisent, chaque geste se décompose en cent mouvements précis, 
anguleux, incisifs. La bouffonnerie de la perspective, de l’éclairage, de l’at 
mosphère est le prétexte de son système nerveux hypersensible à une drôlerie 
spirituelle et ironique. Les figures de sa danse sont à la fois mystérieuses, 
grotesques et extatiques. ...” 
J’ai connu Eggeling en 1915 à Paris dans l’atelier de Madame Wassilieff. 
Cette dernière avait organisé dans ses deux ateliers une cantine où les artistes 
pouvaient manger le soir pour peu d’argent. Les amis qui revenaient du front 
nous parlaient de la guerre et quand le cafard était trop fort une jeune femme 
à jolie voix chantait: “En passant par la Lorraine avec mes sabots. ...” Un 
Suédois ivre l’accompagnait au piano. Chaque nuit je faisais à pied avec mon 
frère dans l’obscurité de ce Paris menacé par les Allemands les quelques 
kilomètres qui séparent Montmartre de la gare Montparnasse où se trouvait 
l’atelier de Wassilieff. Eggeling habitait Boulevard Raspail un atelier sinistre 
et humide. En face de lui demeurait Modigliani qui venait souvent le voir, 
récitant Dante et se soûlant. Il prenait aussi de la cocaïne. Un soir il fut décidé 
que je devais en compagnie de plusieurs autres innocents, être initiés aux 
“Paradis Artificiels.” Chacun de nous donna quelque francs à Modigliani 
pour qu’il put aller faire provision de la drogue. Nous attendîmes des heures. 
Enfin il revint hilare et reniflant, ayant tout absorbé à lui seul. Eggeling 
peignait peu en ce temps, il discutait pendant des heures sur l’art. Je le
	        
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