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votre questionnaire, alors qu’une telle confusion règne dans
les esprits! Que ne me demandez-vous plutôt une étude
concernant « L’influence des théories des peintres sur la
vision de certains critiques d’art ». Voilà une étude exci
tante, sur l’opportunité de laquelle je vous conseille de réflé
chir.
— Mais revenons à la peinture triste. N’accusez pas les
peintres de la salle 2 d’introduire en peinture des formules
nouvelles et dévastatrices. Ils ne font que cultiver une tech
nique traditionnelle, celle de l’école de Barbizon (1), et que
tirer parti des matières pittoresques que le temps, ce cui
sinier, a déposées sur les toiles de nos Musées. Comme les
peintres de Barbizon, ils s’arrêtent plutôt devant les Rem
brandt dénaturés du Louvre que devant Rubens — dont on
peut encore percevoir la fraîcheur sous la crasse des vieux
vernis. Leur point de départ est contestable, mais là comme
partout ailleurs, le résultat seul importera. Il y aurait bien
des désillusions et bien des émerveillements si un beau jour
un pieux « vandale », s’introduisant au Louvre, muni d’un
actif décapant, en frottait énergiquement le bœuf écorché!
Vous verriez s’épanouir ces sauces dorées qui l’accommodent
si mal, et apparaître des roses, des bleus, des lilas, des gris
et des rouges; vous assisteriez ainsi à la ruine d’une supers
tition et d’une théorie qui, pour n’avoïr pas son aède, n’en
est pas moins active.
Je poursuis la lecture de votre questionnaire et je cons
tate qu’il faut que la confusion dont je parle plus haut
soit bien grande pour que les mots « plasticité, mesure,
discipline » semblent, dans votre esprit même, impliquer
tristesse et austérité. — Mais les musiciens et les poetes
que vous citez, et qui sont mes poètes et mes musiciens
préférés, ne possèdent-ils pas les vertus de mesure et de
discipline dont les peintres « cubistes » ou « néo-cubistes »,
je ne sais plus, ont fait leurs vertus coutumières? En quoi
le goût de la chose bien faite et l’amour de la pertinence
peuvent-ils être opposés au goût de l’humour, du pitto
resque et de la fantaisie, je vous le demande à mon tour?
Le Poussin, qui est le peintre mesuré et discipliné par excel
lence, introduit dans chacun de ses tableaux des détails
pittoresques et amusants : on s’en apercevra le jour où le
trop prudent personnel de la Conservation des Musées natio
naux se décidera à les faire nettoyer. La tristesse ne gît,
(1) Corot excepté.