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et n’importe comment. Où le roman cesse d’être la forme
adéquate, une autre forme commence. Quelle folie vous tient
donc de vouloir sous-titrer votre œuvre « roman »? Un de
mes amis avait débuté en poésie par des ballades. Il les
tournait merveilleusement, je vous l’assure. A son sens,
l’unité poétique était la ballade, comme, vous savez, le batail
lon est l’unité de combat et le franc l’unité de monnaie (1).
La raillerie, l’érotisme, le pamphlet, la fantaisie ne pouvaient
se ramasser, briller et fleurir qu’en trois couplets et un envoi.
Poème devint rapidement pour lui ballade. Et un jour, il en
arriva, sa conception s’élargissant, à faire quatre couplets
au lieu de trois, à déplacer les rimes, à supprimer ceci, à
allonger cela, à ajouter quelque chose, bref à chambarder
tout. Mais toujours, par religion de sa première forme et
radotage de ses vieilles amours, il appelait cela ballade. Ce
n’en était cependant plus. C’était même tout à fait autre
chose, sans qu’il voulût l’admettre. Ainsi faites-vous du
roman... »
Le philosophe me quitta. Et il ne fut plus jamais question
entre nous de roman. Non point que je l’aie convaincu cette
nuit-là, mais bien parce que je n’ai jamais été qu’un entêté
bourré du plus maladroit parti pris. A douze ans de là, cette
conversation re revint en mémoire, au reçu du livre de MM.
Joncquel et Varlet : Les Titans du Ciel — roman plané-
taire. Cette fois, les grands rythmes, les ressacs et les mas
carets, — tout le bric-à-brac philosophard de mon interlocu
teur nocturne — allaient prendre leur revanche ! Et sur une
citation de Wells, comme hors-d’œuvre, j’affrontai « l’oppo
sition » de Mars en l’an 1978, sans trop d’assurance, les
traductions de Stevenson par M. Théo Varlet (2) — excel
lentes par ailleurs — me donnant à réfléchir quant à la ma
nière de ce livre-ci. J’en fus quitte pour ma honte.
Les Titans du Ciel, « audacieuse prévision du bolchevisme
explosant à la faveur d’un cataclysme hallucinant » n’a rien
(1) Du moins était-ce ainsi alors.
(2) Editions de la Sirène.