208
il y a lieu de se réjouir doublement lors de la parution d*un
ouvrage tel que “ La Graine jaune „, portefeuille de 20 bois gravés
par Jozef Cantré. Dès l’abord, on se rend compte que 1 on se
trouve en présence d’une œuvre qui dépasse de cent coudées
la moyenne des publications analogues. Il ne s’agit pas ici de
compositions à intérêt uniquement décoratif, et réunies sous
couverture sans que rien ne les relie entr’elles et leur confère une
portée plus large que leur seule signification ornementale. Les
gravures qui composent la Graine jaune doivent être considérées
dans leur ensemble, car toutes elles ont été conçues sous la pous
sée d’idées et de sentiments d’ordre identique. Commencé en
1918, cet album représente un travail qui se répartit sur les
années 18-19-20, et sans qu’on puisse y îetrouver l’illustration
précise d’événements déterminés, il est cependant permis de dire
que chaque planche constitue le résultat de l’action exercée sur la
sensibilité de l’artiste par l’atmosphère générale des jours qu’il a
vécus. Il n’est donc pas question ici de gravures politiques, mais
simplement de l’expression par des moyens plastiques de senti
ments largement humains, tour à tour révoltés ou sereins, résignés
•u frénétiques, suggérés au graveur par les multiples aspects de
la “ peine des hommes „. Toute l’immense tragédie de l’époque,
avec ses deuils, ses ruines accumulées, ses existences désaxées, se
trouve enclose dans ces gravures d’une beauté âpre et forte.
L’ouvrage se termine par des pages où l’artiste a exprimé son
fervent espoir en un renouveau plus paisible.
II faut bien dire d’ailleurs que les qualités techniques de ces
bois contribuent pour une bonne part à en accroître le caractère
poignant, à augmenter leur “ efficacité „. Pour chaque gravure,
Cantré a su trouver des moyens d’expression strictement adéquats
au caractère du thème traité. A chaque coup, il est parvenu à
réunir les éléments les plus caractéristiques et à les grouper de
façon à leur prêter le maximum de force expressive.
La facture est d’ailleurs d’une étonnante simplicité, et il se
dégage constamment de ces compositions une impression de
naïveté sincère, qui permet de les rapprocher des plus pures
productions primitives ou d’art nègre. Aucune surcharge inutile,
aucun désir d’enjoliver.
Le seul reproche qu’on pourrait être amené à formuler, c’est
que quelques bois témoignent parfois d’un abus de symboles, ce
qui entrave leur action directe sur le spectateur. Mais, même alors,
il faut ajouter bien vite que ce défaut est largement racheté par
les qualités plastiques, toujours présentes.
G* M.