196
C’est aux environs du 20 mai que René Edme me lut Poeta-
riat, un soir au jardin des Tuileries. Quel éclairage jetait le poème
sur la vie atteinte de René ! “ Poetariat ou l’immorale Vie de
Safran Corday C’est, avec le Citron d’Or, le poème que René
laisse tel qu’il voulait qu’il fût. Et tel qu’en lui-même définitif.
Pourtant...
J’incline à penser qu’il ne manque rien à Poetariat de ce qui
garde un livre de l’oubli. Je professe que René a poussé aussi loin
qu’il l’a désiré, ce jeu des idées par quoi un écrivain acquiert ses
quartiers de noblesse. Alors ?
Rompu aux exercices spirituels, il ne se pouvait souhaiter
qu’une écriture plus serrée, plus exacte. Je pense qu’une forme
mal sûre l’a quelquefois desservi.
Cela n’enlève rien au poète. D’ailleurs je ne devais pas tenter
une critique, mais tâcher d’expliquer la raison pour quoi René a si
peu vécu.
Eh oui, c’est une contradiction du génie que chercher des
excuses à son existence.
Il faut que je continue.
En juin 1920, d’un voyage à Monaco, René Edme rapporta
quelques pages d’un petit ouvrage : “ Le Citron d’or de l’idéal
amer „, conte romantique qu’il avait tout d’abord intitulé :
L’Amant du Rail. Il acheva de l’écrire à Paris.
A ce moment Edme et moi étions sans emploi.
Nous avions adopté ce système qui consiste à se faire
congédier d’une maison de commerce ou d’une banque, n’y
ayant rien travaillé que cinq ou six jours, afin de toucher un mois
entier d’appointements, à titre d’indemnité. Les poètes ont de ces
artifices. A la fin du compte ils meurent à l’hôpital, cependant que
le banquier frustré de 300 francs, est de tous les comités
littéraires, voire (M. Zaharoff) constitue un grand-prix du roman...
N’est ce pas le plus délicat des témoignages de la miséricorde
divine ?
Si les banquiers supportèrent parfois René Edme, il fut moins
bien accueilli chez les anarchistes. Pour la copie insolente d’Edme
qu’il avait publiée dans son journal “ Un „, Marcel Sauvage reçut
des avis de désabonnement. L’individualisme, tel que le conçoi*