Volltext: Numéro spécial (1er Octobre 1919)

10 
LE CRAPOUILLOT 
Clavel alla chez son ami Dupont. Dupont est un des 
rares hommes que Clavel estime à Paris : Il n’a point cédé 
au dégoûtant vertige collectif; dédaignant le qu’en-dira- 
t-on, il a eu le courage de se faire réformer pour une 
maladie de cœur qu’il n’avait point, et maintenant il met 
ses connaissances pharmaceutiques, son ingéniosité d’es 
prit et ses relations au service des camarades qu’une com- 
plexion normale rend aptes aux travaux guerriers. Dupont 
ne travaille pas pour de l’argent, c’est un saint qui pra 
tique l’art pour l’art. 
Clavel exposa son cas. 
—■ Veux-tu une piqûre à la fesse, grâce à quoi ton 
visage se couvrira de pustules et de chancrelles?questionna 
Dupont. Préfères-tu le coude de l’épilepsie ou la recette 
de l’érésipèle ? Avec ces petits maquillages inoffensifs, tu 
seras « paré » pour trois mois d’hôpital... 
Trois mois ? Non. Clavel sent que ce serait une lâcheté 
vis-à-vis de lui-même quê d’accepter; il veut être libéré 
totalement; d’ailleurs avec les majors qui font des expé 
riences sur les malades et coupent des membres conti 
nuellement pour s’entretenir la main, l’hôpital est encore 
plus dangereux que le front. 
—■ J’ai peut-être une « gâche » pour toi, continue 
Dupont affectueusement : Veux-tu épouser une veuve avec 
six enfants? Tu passerais automatiquement dans la der 
nière classe de territoriale et serais libéré illico. 
— Parfait ! 
— Je dois te prévenir que la personne n’est pas jolie ; 
de plus elle est... 
— Moi aussi, ça n’a aucune importance. 
Clavel est allé chez la veuve qui habite un sordide 
taudis, rue des Panoyaux. Elle a le type des filles à sol 
dats pour ville de garnison : Son corps n’est qu’un tas 
gélatineux et malodorant ; un immonde lupus ronge son 
nez camus. Près d’elle, six enfants sales grouillent comme 
des vers autour d’une charogne. 
Clavel éprouve une légère répulsion, il réfrène cette 
légère défaillance. Son devoir d’homme libre est là, en 
cette immonde créature qui a le pouvoir de le libérer de 
l’abattoir : Il n’y faillira pas. Le marché se conclut. 
Clavel fume sa pipe, huit jours après, la conscience 
tranquille; déjà gagné par la contagion de l’arrière, il lit 
P Echo de Paris; sur le lit, dévorant un reste de charcu 
terie enveloppé dans du papier gras, sa légitime a 1 air 
d’un monstrueux crapaud. 
On frappa à la porte. C’étaient des gendarmes. 
— Je suis en situation régulière : voici mes six 
enfants... 
— Non, vous êtes déserteur, répondit l’argousin au 
masque de croquemitaine eczémateux : apprenez, espèce 
de tire-au-cul, que la loi ne vous serait applicable que si 
les enfants étaient nés de votre lit ! Suivez-nous. 
— M....! 
Tandis.que les mouchards moustachus, heureux de 
toucher leur prime de vendus, lui passent brutalement les 
menottes, sans que sa gouge (dont ce n’est pas sans doute 
le coup d’essai) manifeste la moindre émotion, Clavel, les 
yeux hors de la tête, hurle : 
— Tas d’embusqués ! Bande de vaches ! A bas Man- 
del ! C’est toujours les mêmes qui se font tuer! 
LEON WERTH. 
an, suivie de ses six enfants qui marchaient pieds nus. 
Elle avait un visage délicat, amenuisé par la douleur et 
le travail; elle portait une hottée d’herbe, et les bambins 
avaient ramassé des fagots de brindilles à la lisière du 
bois communal. 
« Bonjour, Jean », dit-elle d’une voix douce et comme 
brisée. 
— Dieu vous garde, Marthe. » 
Un long silence pesa entre eux. Jean revit son enfance, 
le jour de leur première communion où elle allait, toute 
blanche, entre les aubépines fleuries, dans les chemins 
creux, leurs jeux puérils, puis la réserve et la timidité de 
l’adolescence, quand le cœur trop gonflé ne sait que se 
taire Au retour de son service militaire il l’avait trouvée 
mariée à Pierre Delormeau, le journalier. Toute sa vie 
était tissue de silence. Et aujourd’hui elle était veuve, 
chargée d’enfants et sans autres biens qu’une maigre pen 
sion. Alors il sembla à Jean qu’il avait un grand devoir 
à remplir et qu’il n’avait encore abordé que des tâches 
préliminaires. Il dit à Marthe : 
« Marthe, tu es pauvre. 
— Je me loue dans les fermes, et les enfants paissent 
les vaches de M. Mourolles qui leur donne ses vieux 
habits. Le gouvernement me fait une rente; M. le curé 
m’a recommandé de prier pour M. Clemenceau à qui je 
la dois. 
— Marthe, j’ai des terres et une maison ; je n’en ai pas 
besoin puisque je vis à la guerre. Veux-tu m’épouser? 
Tu habiteras une maison et je serai le père de tes 
enfants. » 
Le soir même, ils allèrent trouver le prêtre du village 
pour lui annoncer leur mariage et hâter la publication 
des bancs. Le curé était un saint homme, pénétré de son 
grave ministère, mais qu’une longue pratique du confes 
sionnal et de l’astuce paysanne avait rendu défiant des 
intentions de ses paroissiens. Il regarda Jean en clignant 
des yeux: 
« Mon enfant, dit-il, j’approuve ce noble désintéresse 
ment d’épouser une veuve qui n’a ni vigne, ni bois, ni 
prés. Mais le monde est méphant; les mauvaises langues 
sont agiles. On croira peut-être que cette noce est un 
calcul de ta part... 
— Un calcul, Monsieur le curé... 
— Ma foi ! Tu sais que les pères de six enfants sont 
exemptés de la guerre. » 
Jean pâlit et rougit tour à tour; puis il mit la main sur 
l’épaule de Marthe et répondit gravement : ' 
«Resterici, à l’arrière, pendant que mes frères se font 
tuer ! Jamais de la vie, Monsieur le Recteur. J’ai sept âmes 
de surcroît à défendre aujourd’hui et sept raisons de plus 
de mourir. » 
RENÉ BAZIN. 
A la manière de “ Dada ” 
Enfants de Troupe 
Poème 
Ticla notre âge d’or Pipe Carnot Joffre 
J'offre à toute personne ayant des névralgies 
6/rafFe Noce un bonjour de Gustaue 
Ave maria de Gounod Rosière 
Air de Mayol Touring Club Phonogra/?Ae 
Affiche crime en couleurs Piano mécanique 
Nick Carter c’est du joli. 
Liberté Egalité Fraternité. Jean Cocteau.
	        
Waiting...

Nutzerhinweis

Sehr geehrte Benutzerin, sehr geehrter Benutzer,

aufgrund der aktuellen Entwicklungen in der Webtechnologie, die im Goobi viewer verwendet wird, unterstützt die Software den von Ihnen verwendeten Browser nicht mehr.

Bitte benutzen Sie einen der folgenden Browser, um diese Seite korrekt darstellen zu können.

Vielen Dank für Ihr Verständnis.