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Mais voyez le simple et tranquille Man Ray. Il a
pourtant décloué le volet d’un étonnant univers. A en
tenir les morceaux on s’étonne de les reconnaître
comme ces êtres ou ces objets des rêves qui ont la
faculté d’être en même temps ceci et cela, et de chan
ger de personnalité au moment qu’on la croit saisir...
On regarde Man Ray, on interroge sa fantaisie qui
mêla ces silhouettes mystérieuses dans un espace cer
tainement échappé à quelque nouveau champ de gra
vitation. En réponse, il sourit comme un dompteur
dans sa cage où des otaries arctiques mangent des
sardines dans les pattes d’un tigre charmé par les ten
dres regards d’une souris blanche. Le dompteur sera
dans l’estomac du tigre avant que Man Ray ne soit
dans ses photographies. Ne cherchez pas de viscères.
Et pourtant il est indissolublement lié à ses oeuvres.
Par quel lien de mystère? Il a disposé des objets qui
se trouvaient à portée de sa main ou de sa pensée.
Le papier photographique a fait le reste aussi simple
ment que Man Ray. Il semble que ce soit un travail
facile pour tous avec un égal résultat. Quelqu’un
l’imite et aussitôt la différence éclate.
Tandis qu’il poursuit la reproduction journalière
des beautés physiques des Elégantes et des Intellec
tuels en de fidèles photographies, vous tenez en
main ces fragments d’univers inconnu qu’il a subti
lement pêchés à la ligne à travers son volet de papier
sensible. Le papier était sensible, l’homme non, du
moins au sens que vous l’entendez, car ce que vous ne
connaissez pas, c’est justement cette effrayante sen
sibilité d’esprit analogue à une vibration du voisinage
de celles de la lumière et qui jouent dans la désinté
gration de la matière, cet effrayant et bref balance
ment nécessaire au choix des objets et présent à
l’obéissance du papier photographique.