ARP
J'ai connu Arp des la plus tendre enfance de notre dieu politique.
11 portait les cheveux coupes ä la mode egyptienne des triangles
majeurs, et dansait le Step comme personne d'autre — n'oublions
pas qu'il fut berce par une negresse, enfant poilu et facile et
qu'il ne mangeait que de la viande d'enfants beiges.
Arp est parti sur les diemins du noir, il a trouve des lacs oü
dieu s'ecoule en plaisirs americains. On suit de pres les marges
de ses dessins, une forme grossit en scolopendre magique, l'autre
est une cbaise, un livre ouvert fait d'ailes de sauterelles, pourquoi
nous-arretons-nous devant la porte d'un brocanteur de vieux
nuages, pourquoi le sang coule-t-il de cet oeil gyroscope, et le
tout est une fleur de lave Tandis que tous les peintres font de
belles cboses, Arp ne fait ni bien ni mal, ni grand ni petit, ni droit
ni gaucbe, il dessine sans intermediaire, comme si de son index
il coulerait du noir de pinceau. Une transformation latente elargit
sa ridhesse d'images inattendues, de ses instants varies et de ses
sommeils, sans probleme comme des evasions cerebrales pendant
les reves marins, la ligne coule et se renferme sur d'etranges
proportions. Il n'y a rien de mystique, rien de la sagesse grossiere,
vulgaire, des prophetes dogmatiques de Part moderne, rien qu'un
jeu, comme la vie et ses emotions, sans la difference absurde
qu'on fait entre le serieux et le leger. Dieu est-il leger ou lourd? —
serieux ou spirituel? — tout cela c'est de la blague. J'aime Arp
parce qu'il sait cela, il ne croit pas aux genies ni aux idiots, il
sait que nous sommes tous des exhalaisons nocturnes issues d'une
sinistre fantaisie.
Devant un fauteuil, les yeux gras, il vit que son grand-pere
etait devenu fauteuil — celui qui au temps des boers remuait les
milliards en une enorme bouillabaisse. (Plantations de tabac.)
Rejouissons-nous, il est encore temps, avant que Part ne se
vende comme des diplömes par les pions cubistes, futuristes ou
puristes, ces sangsues de la sottise organisee, ces emmerdeurs du
self-contentment et de la vanite scientifique et puante. Je te
salue, Arp, sourire leger des pluies marines,
TRISTAN TZ ARA